Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

Patriarcat de Moscou

Métropolite Euloge (Guéorguievski)

Métropolite Vladimir

Après avoir achevé ses études secondaires à l’école ecclésiastique de Bélev et au séminaire de Toula (180 km au sud de Moscou), Basile Guéorguievski entra à l’Académie de théologie de Moscou. Ayant terminé l’Académie en 1892, Basile fut employé comme précepteur dans la famille Lopoukhine à Moscou. Six mois plus tard, en 1893, il obtenait le poste d’inspecteur adjoint de l’école diocésaine d’Efrémov (120 km au sud de Toula).

Le 3 février 1895, à l’âge de 27 ans, il reçut la tonsure monastique sous le nom d’Euloge. Le 12 février il fut ordonné hiéromoine, puis nommé professeur de grec au séminaire de Toula. L’année suivante, il est nommé inspecteur au séminaire de Vladimir. Deux ans plus tard, en 1897, il est nommé recteur du séminaire de Kholm (Pologne sous domination russe). Enfin, le 12 janvier 1903, le hiéromoine Euloge est sacré évêque de Lublin, vicaire du diocèse de Kholm-Varsovie. En 1905, les vicariats de Lublin et Sedlets s’unirent en un seul diocèse, avec siège épiscopal à Kholm et avec l’évêque Euloge à sa tête.

En 1907, l’évêque Euloge fut élu député de la province de Kholm à la deuxième Douma de l’Empire, puis réélu à la troisième Douma. La tâche principale de Mgr Euloge consistait à obtenir un statut administratif pour la province de Kholm, ainsi que son intégration à la Russie. Cette tâche ayant été accomplie avec succès, Mgr Euloge fut élevé à la dignité d’archevêque en 1912.

En 1914, juste avant le début de la Première guerre mondiale, l’archevêque Euloge fut nommé au siège de Volhynie, et lorsque les armées russes occupèrent la Galicie, il fut désigné pour administrer les paroisses orthodoxes dans les territoires occupés par l’armée russe, avec pour centre Lvov. De nombreuses paroisses uniates décidèrent de revenir à l’Orthodoxie de leur propre volonté. En juillet 1917, l’archevêque Euloge fut appelé à siéger à la conférence préconciliaire, et lorsque le Concile de l’Eglise russe fut ouvert le 15 août 1917, il fut élu président de la commission «Célébration, prédication et art liturgique». Après l’élection du patriarche Tikhon, l’archevêque Euloge fut élu membre du synode patriarcal.

Se trouvant à Kiev au Concile de l’Eglise d’Ukraine, le 4 décembre 1918, l’archevêque Euloge fut arrêté avec le métropolite Antoine (Khrapovitsky) par les séparatistes de Pétlioura, et après la victoire des Polonais, les deux hiérarques se retrouvèrent prisonniers des nouveaux maîtres. Ce n’est que neuf mois plus tard qu’ils furent libérés sur l’intervention de Clémenceau. En août 1919, ils gagnèrent la région du Kouban, chez le général Dénikine, en passant par la Bessarabie et Constantinople.

Ne pouvant revenir en Volynie, l’archevêque Euloge accepta l’invitation de se rendre en Serbie, et il quitta Novorossijsk le 16 janvier 1920. En Serbie, l’archevêque Euloge fait la connaissance du patriarche de l’Eglise serbe, de nombreux autres hiérarques, ainsi que du roi Alexandre. A la rentrée scolaire de septembre 1920, après avoir passé l’été au monastère de Grguétek, l’archevêque Euloge enseigne à l’institut de jeunes filles du Don, évacué à Béla Crekva.

Au début de l’année 1921, l’archevêque Euloge reçoit de la Direction provisoire des églises russes à l’étranger, présidée par le métropolite Antoine (qui avait quitté la Crimée et se trouvait provisoirement à Constantinople) sa nomination d’Administrateur des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale. Via Vienne et Prague, il arrive à Berlin, pour la Semaine Sainte, accompagné de l’archimandrite Tikhon (Liatchenko).

C’est en 1921 que Mgr Euloge reçoit du patriarche Tikhon un décret, daté du 8 avril, le nommant à la tête des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale avec les droits et prérogatives d’évêque diocésain. Il reçoit également une lettre du métroplite Benjamin de Pétrograd, lui confirmant qu’il lui transmet sa juridiction sur ces paroisses qui jusqu’à présent dépendait du métropolite de Saint-Pétersbourg (devenu ensuite Pétrograd). Ces actes du saint patriarche Tikhon et du saint métropolite Benjamin fondent la canonicité de l’œuvre ecclésiale du métropolite Euloge en Europe occidentale. En janvier 1922, par décret patriarcal, Mgr Euloge est élevé à la dignité de métropolite.

Durant l’été 1921, Mgr Euloge visite les paroisses russes à Paris, Londres, Cannes, Nice et Menton. En automne 1921, lors du congrès ecclésial de l’émigration russe, à Karlovcy (Serbie), Mgr Euloge et d’autres délégués n’approuvent pas la déclaration officielle du congrès en faveur de la restauration des Romanov sur le trône impérial de Russie. Il y voit une utilisation de l’Eglise à des fins politiques. Au mois de juin 1922, il reçoit de Moscou un décret patriarcal, daté du 5 mai 1922, qui ordonne la dissolution de la Direction provisoire des églises russes à l’étranger siégeant à Karlovcy, suite à la prise de positions politiques de la part de cetet direction, et qui confirme Mgr Euloge dans sa responsabilité à la tête des paroisses orthodoxes russes à l’étranger. Néanmoins, on estima à Karlovtsy qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération le décret patriarcal. Le métropolite Euloge, par respect pour le métropolite Antoine et d’autres hiérarques avec lui, leur céda et ne s’arrogea pas la plénitude du pouvoir que lui avait pourtant conférée le patriarche Tikhon.

En automne 1922, le métropolite Euloge s’installa à Paris et se mit à organiser l’administratrion diocésaine. Il laissa l’archimandrite Tikhon en Allemagne et le sacra évâque auxiliaire au printemps 1924. Bientôt, en 1926, cet évêque fut à l’origine d’un conflit avec le synode de Karlovcy, grâce auquel il réussit à être élevé au rang d’évêque diocésain pour l’Allemagne sans l’accord du métropolite Euloge, ce qui provoqua la rupture entre ce dernier et le synode hors-frontières qui, depuis 1922, au fil de ses réunions, ne cessait de lutter contre le métropolite Euloge. Le conflit dégénéra en rupture. La plupart des paroisses d’Allemagne restèrent néanmoins fidèles à Mgr Euloge, ce n’est que dans la deuxième moitié des années 1930, sous la pression du régime nazi que plusieurs d’entre elles finirent par passer sous la juridiction de l’évêque du synode de Karlovcy.

Pour former les prêtres dont l’émigration russe avait besoin, fut fondée, en 1925, à l’initiative du métropolite Euloge, un Institut de théologie orthodoxe (Institut Saint-Serge), à Paris, où furent invités pour enseigner d’éminents savants de l’émigration russe, théologiens, historiens, philosophes. Le métropolite Euloge en fut le premier recteur. En 1943, il reçut un doctorat honoris causa. Très rapidement dans tous les pays d’Europe, mais surtout en France, de nouvelles paroisses furent fondées. Selon les sources de l’Administration diocésaine datant des années 1928-1938, le métropolite Euloge gèrait alors plus de 110 paroisses ou communautés ou communautés qui s’étendaient de la Finlande (2 paroisses) au Maroc (3 paroisses), de Londres à Florence, de la Hollande (2 paroisses), en Tchéoslovaquie (4 paroisses), en Allemagne (7 paroisses) et en passant par la France (plus de 70 paroisses). Il était assisté par plusieurs évêques auxilaires: l’archevêque Vladimir à Nice (1925-1946), l’archevêque Alexandre à Bruxelles (1929-1940), l’archevêque Séraphim à Londres (1926-1927), l’évêque Serge à Prague (1024-1946), l’évêque Benjamin (1927-1930), puis l’évêque Jean (1932-1946), à Paris.

En 1927, le métropolite Euloge dut affronter un nouveau conflit, cette fois avec le patriarcat de Moscou. Le métropolite Serge de Nijni-Novgorod, à l’époque remplaçant du locum tenens du trône patriarcal, accusa le clergé de l’émigration de prendre des positions contre-révolutionnaires et exigea un engagement de loyauté envers le régime soviétique. Le métropolite Euloge assura de son total apolitisme, tout en soulignant que les membres de son clergé ne pouvaient être liés au gouvernement d’un Etat dont ils n’étaient pas les citoyens.

En 1930, ce conflit dégénéra lui aussi en rupture, après que le métropolite Euloge se soit vu reproché par le métropolite Serge sa participation à des célébrations œcuméniques de prières pour l’Église russe persécutée. Sommé par Moscou de se démettre, le métropolite Euloge fit appel au patriarche œcuménique et se rendit à Constantinople. Le patriarche Photius II lui apporta son soutien à tous points de vue et le prit sous son obédiance avec le titre d’exarque dans le cadre d’un «Exarchat provisoire pour les paroisses russes en Europe occidentale». Progressivement la nouvelle situation canonique fut admise et entérinée, même si quelques clercs quittèrent le diocèse pour rester dans la juridiction de Moscou.

En 1934, le métropolite Euloge se rendit en Serbie au chevet du métropolite Antoine vacillant, dans l’espoir d’une réconciliation. Cette réconciliation eut bien lieu, mais n’interrompit pas les intrigues du synode de Karlovcy, notamment en Allemagne.

A partir de 1939, le métropolite Euloge vit ses forces décliner. Il souffrait surtout d’une sourdité progressive. Pendant la guerre, qu’il passa à Paris, coupé de plus de la moitié des paroisses de son diocèse, Mgr Euloge suivit les événements avec attention et se passionna pour les succès et les échecs de l’armée soviétique. Comme de nombreux d’émigrés russes à l’époque, il fut irrésistiblement attiré par son pays d’origine après la guerre. cela le conduisit à engager des négociations avec le nouveau patriarche de Moscou, Alexis I, tout récemment élu. Une délégation du patriarcat de Moscou vint à Paris, conduite par le métropolite Nicolas de Kroutitsy. Le 2 septembre 1945, le métropolite Euloge concélébra avec les métropolites Nicolas et Séraphim (Loukianov), l’ancien représentant du synode de Karlovcy en France, en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, à Paris.

Cependant, la plupart des membres du clergé et des laïcs ne partageaient pas ce penchant pour le retour au Patriarcat de Moscou de leur primat vieillissant, à commencer par l’archevêque Vladimir, évêque auxiliaire à Nice depuis 1925, qu’à la fin de la guerre le métropolite Euloge avait fait venir à Paris pour le seconder et diriger le diocèse durant sa maladie. Ils l’exprimèrent publiquement dès l’assemblée pastorale, réunie le 29 août 1945, à Paris. Dans les mois qui suivirent, le métropolite Euloge s’interrogea ouvertement sur le bien fondé de sa démarche, d’autant plus que le patriarcat de Moscou prenait des décisions sans le consulter et que le patriarche de Constantinople tardait à donner son accord au retour dans la juridiction de Moscou.

Le métropolite Euloge mourut le 8 août 1946, dans son petit logement de la rue Daru, auprès de sa cathédrale. Ses funérailles eurent lieu le 12 août, sous la présidence du métropolite Grégoire de Léningrad. Deux jours plus tôt le métropolite Grégoire de Thyatire, exarque du patriarche œcuménique en Europe occidentale, était venu prier devant son cercueil. Le métropolite Euloge a été inhumé dans la crypte de l’église de la Dormition, auprès du cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), église dont il avait présidé la consécration, quelques années plus tôt, en 1939.

(texte établi d’après la brève bibliographie du métropolite Euloge, in Messager Diocésain, n° 8, décembre 1997, pp. 15-16).

Métropolite Vladimir (Tikhonicky)

Métropolite Vladimir

Le métropolite Vladimir (Tikhonicky) a laissé la mémoire d’un très saint hiérarque, plein de simplicité et de douceur (à l’image de son nom de famille, en russe «тихо» signifie doux, calme), un homme de prière, fidèle en toutes choses à la Parole de Dieu. Il dirigea pendant treize ans l’Exarchat du Patriarcat œcuménique pour les paroisses russes en Europe occidentale avec beaucoup d’abnégation, continuant l’œuvre entamée par son prédécesseur, le métropolite Euloge, dans la fidélité à la tradition orthodoxe russe, qu’il incarnait lui-même pleinement, mais en même temps avec la conscience sûre et ferme de la nécessité d’organiser une véritable Église locale et de célébrer, là où le besoin s’en faisait sentir, dans les langues occidentales.

Le métropolite Vladimir est né le 22 mars 1873, dans la petite ville d’Orlov, dans la province de Viatka, en Russie. À son baptême, il avait reçu le prénom de Viatcheslav. Il appartenait à une vieille famille du clergé: son père, l’archiprêtre Michel Tikhonicky fut assassiné en 1918 par les bolcheviques (il a été canonisé par l’Église orthodoxe russe en 2002); l’un de ses frères deviendra plus tard lui aussi évêque en Russie et mourut archevêque de Kirov (Viatka), en 1957.

Après ses études au séminaire diocésain de Viatka, Viatcheslav entre à l’Académie de théologie de Kazan (1893-1998), qui était spécialisée dans le travail missionnaire. Durant ces années d’études, sous l’influence de la forte personnalité du recteur de l’Académie à l’époque, l’évêque Antoine (Khrapovitskiï), il prononce ses vœux monastiques et reçoit le nom de Vladimir (1897). L’année suivante, il est ordonné hiéromoine (prêtre-moine) et est envoyé en tant que missionnaire en Kirghizie. En 1901, il est nommé par le saint-synode de l’Église russe directeur de la Mission orthodoxe de Kirghizie et élevé au rang d’archimandrite.

Déplacé ensuite auprès de l’évêque du diocèse d’Omsk (Sibérie), puis au monastère de Souprasl, à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, qui faisaient à l’époque parties de l’Empire russe, il est élu en par le Saint-synode évêque de Bialystok, auxiliaire du diocèse de Grodno. Son ordination épiscopale a lieu, le 3 juin 1907, à la laure Saint-Alexandre-Nevsky, à Saint-Pétersbourg, sous la présidence du métropolite Antoine (Vadkovskiï). Durant les années 1910-1913, il lui arrive fréquemment de remplacer dans son diocèse l’archevêque Euloge de Chelm, qui est retenu à Saint-Pétersbourg où il siège comme député de la Douma. Après l’évacuation du diocèse de Grodno lors de l’offensive militaire allemande de 1914, l’évêque Vladimir se trouve logé à Moscou, au monastère du Miracle-de-Saint-Michel, en plein cœur du Kremlin. Au début du mois de mars 1917, au lendemain de l’abdication du tsar Nicolas II, il accompagne l’archevêque (futur patriarche) Tikhon (Biéllavine) à Kolomenskoïé, l’ancienne résidence des tsars près de Moscou, où vient d’apparaître, de manière significative, l’icône miraculeuse Notre-Dame Souveraine et il participe au premier office liturgique célébré devant cette précieuse relique.

Membre du Concile de l’Église russe de 1917-1918 à Moscou, en tant que représentant du diocèse de Grodno, il participe aux travaux des trois sessions du concile, avant de retourner, à l’automne 1918, à Bialystok, qui fait désormais parti de la République de Pologne, proclamée après la fin de la première guerre mondiale. Là, il est chargé par le patriarche Tikhon de Moscou de diriger, avec les prérogatives d’évêque diocésain, les paroisses de la région de Bialystok, qui sont désormais séparées par la frontière du reste du diocèse de Grodno. En 1923, il est élevé au rang d’archevêque par le patriarche. La même année, ayant exprimé son désaccord avec les actions du métropolite Denis de Varsovie visant à obtenir la proclamation de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe en Pologne, l’archevêque Vladimir est arrêté par les autorités civiles polonaises et est mis en résidence surveillée dans un monastère pendant un an, avant d’être expulsé vers la Tchécoslovaquie. À Prague, il retrouve Mgr Euloge, qui dirige depuis déjà trois ans les églises orthodoxes russes en Europe occidentale, et qui lui propose d’être son auxiliaire en France, pour les paroisses de la Côte d’Azur (Nice, Menton, Cannes, Toulon).

L’archevêque Vladimir s’installe en février 1925 à Nice où il devient recteur de la cathédrale Saint-Nicolas et des églises qui lui sont rattachées. Pendant vingt ans, il y mène la vie de recueillement et de prière à laquelle il avait toujours aspiré. En 1930, l’archevêque Vladimir soutient la position du métropolite Euloge face au Patriarcat de Moscou qui souhaitait démettre Mgr Euloge de ses fonctions, au motif qu’il aurait pris position politique, en participant à des rencontres de prière œcuménique pour les chrétiens persécutés en Russie, alors que le métropolite Serge de Nijni Novgorod qui faisait fonction de remplaçant du locum tenens du trône patriarcal de Moscou niait publiquement l’existence de telles persécutions. Mgr Vladimir refuse d’appliquer le décret du métropolite Serge lui confiant l’administration du diocèse à la place de Mgr Euloge. Il renouvelle encore son soutien à ce dernier l’année suivante, quand le métropolite Euloge se rend à Constantinople pour faire appel de la décision du patriarcat de Moscou auprès du Patriarche œcuménique, lequel le reçoit avec son diocèse et ses paroisses sous sa juridiction. Durant la deuxième guerre mondiale, les communications avec Mgr Euloge et l’Administration diocésaine étant coupées par la ligne de démarcation, Mgr Vladimir reçoit le droit d’administrer, avec les prérogatives d’évêque diocésain, les paroisses de l’Exarchat dans le Sud de la France, en l’Italie et en Afrique du Nord.

Vers la fin de la guerre, la France libérée, le métropolite Euloge, dont les forces physiques déclinent, l’appelle d’urgence à Paris, au début de l’année 1945, et lui confie l’administration du diocèse durant sa maladie. Le 2 septembre 1945, l’archevêque Vladimir concélèbre aux côtés du vieux métropolite Euloge avec la délégation envoyée à Paris par le Patriarche de Moscou Alexis I pour sceller la réunification avec le Patriarcat de Moscou. A la mort du métropolite Euloge (8 août 1946), l’archevêque Vladimir assume les fonctions de locum tenens à la tête de l’Exarchat.

Antoine Kartachov écrira plus tard de ces instants dramatiques «Avant sa mort, le métropolite Euloge plaça de lui-même son exarchat sur la lame du glaive et d’un schisme inéluctable, qui quoi qu’il en soit aurait eu lieu. Le métropolite Euloge, de manière non-conciliaire (безсоборно), sans écouter la voix de la conscience de la majorité écrasante des clercs et des laïcs, décida de soumettre l’Église de la diaspora au gouvernement ecclésial officiel de Moscou. Tout fut fait de manière la plus secrète possible: tous furent placés devant le fait accompli, en dépit des contacts nécessaires pour la forme avec l’instance canonique légale du patriarcat de Constantinople. L’affaire fut engagée si loin qu’il semblait impossible de reculer. En mourrant, le métropolite Euloge posa sur les épaules et sur la conscience de ses confrères-évêques et en particulier de celui en qui il voyait son successeur, l’archevêque Vladimir, un poids presque inhumain: engager en sens inverse toute cette bruyante agitation de manifestations démonstratives et, on peut le dire, démagogiques, et la soumettre à un réexamen à l’aune de la conciliarité» (Жизненный путь митрополита-экзарха Владимира. П., 1957).

En effet, Mgr Vladimir montre alors une grande force de caractère, de fermeté de conviction et de justesse de vue, en refusant le diktat que veut imposer à l’Exarchat le Patriarcat de Moscou, qui a déjà décidé, par un décret daté du lendemain même de la mort de Mgr Euloge, que « la juridiction provisoire du patriarcat œcuménique sur les paroisses russes en Europe occidentale, instaurée en 1931, a formellement et de facto cessé d’exister, et que ces paroisses sont à nouveau placées dans la juridiction indivisible du patriarcat de Moscou, ce dont sera informé le patriarche œcuménique Maximos » (Журнал Московской Патриархи, M., 1946, n° 9, p. 7). Le même décret a aussi nommé comme successeur au métropolite Euloge l’ancien évêque de l’Église russe hors-frontières à Paris, le métropolite Séraphin (Loukianov), qui après s’être compromis avec les Allemands durant la guerre est rentré dans le giron de l’Eglise de Moscou et a pris la nationalité soviétique. «J’en prends acte pour information, mais pas pour exécution», répond Mgr Vladimir au métropolite Grégoire de Leningrad qui l’avait convoqué à l’ambassade soviétique à Paris, le 14 août, pour lui remettre le décret du synode de Moscou.

«Le métropolite Séraphin était nommé à la tête du diocèse du métropolite Euloge décédé […] C’était impossible à croire: l’ennemi juré du métropolite Euloge, l’homme qui s’était conduit en véritable hitlérien pendant la guerre, devenait le successeur du fondateur de notre diocèse […] Autre détail, lui aussi étonnant : cette nomination eut lieu le lendemain même du décès du métropolite, alors qu’un usage très pieux, très respecté dans l’Eglise russe, exigeait que la nomination à une chaire devenue vacante par décès, n’intervient qu’au 40e jour après la mort de son titulaire. Détail plus étonnant encore: cette nomination était intervenue alors que les lettres dimissoriales du patriarcat œcuménique de Constantinople n’avaient pas encore été reçues par le métropolite Euloge. […] Cette nomination faisait apparaître la façon de faire habituelle aux soviets, et qui consistait à mettre au poste de responsabilité des hommes ‘mouillés’, ce qui leur permettait de les tenir en mains et, ainsi, d’être les maîtres de la situation», écrira à ce sujet, dans ses mémoires, le protopresbytre Alexis Kniazev.

Une Assemblée générale extraordinaire de l’Exarchat, réunie le 16 octobre 1946, à l’Institut Saint-Serge à Paris, confirme la décision courageuse du métropolite Vladimir et l’élit comme successeur du métropolite Euloge à la tête de l’Exarchat. Le saint-synode du Patriarcat œcuménique entérine peu après cette élection, le 6 mars 1947, et Mgr Vladimir est élevé, le 8 juillet de la même année, au rang de métropolite. L’année suivante le métropolite Vladimir accueille en personne le patriarche œcuménique Athénagoras qui lors d’une brève escale à Paris visite la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky et l’Institut Saint-Serge. Mgr Vladimir témoigne une nouvelle fois de sa fidélité au Patriarcat œcuménique, lorsqu’en 1950 il fait un geste en direction de l’Eglise russe hors-frontières, proposant à son primat, le métropolite Anastase (Gribanovskiï), un projet de réunification des paroisses des deux juridictions sous l’autorité de Mgr Anastase, mais dans l’obédience du Patriarcat de Constantinople.

Lors de l’Assemblée diocésaine de 1949, Mgr Vladimir lance un appel prophétique à l’unité de tous les orthodoxes installés en Europe occidentale, sans distinction d’origines ethniques ou nationales, dans le cadre d’une Église locale : «Unissons-nous tous dans une seule Eglise dans les pays où Dieu nous a conduit, nous et nos frères orthodoxes. Faisons tous nos efforts pour édifier une Eglise orthodoxe unifiée en Europe occidentale». Dans le prolongement direct de cet appel, au cours des années suivantes, le métropolite Vladimir, qui témoigne d’un grand souci de l’avenir des enfants de l’émigration russe en voie d’assimilation dans leurs pays d’accueil ainsi que du devenir des occidentaux qui entrent dans la communion de l’Eglise orthodoxe, donne sa bénédiction aux différentes initiatives qui apparaissent çà et là dans certaines paroisses de l’Exarchat, à Paris, à Nice, en Belgique, en Allemagne et au Danemark, pour célébrer la liturgie dans les langues locales.

En 1957, le métropolite Vladimir fête avec modestie un jubilée assez rare: son cinquantenaire d’ordination épiscopale. Des messages de salutation lui sont envoyés de la part de toutes les organisations de l’émigration russe. Après une longue maladie, le métropolite Vladimir s’éteint paisiblement à l’âge de 86 ans, le 18 décembre 1959, la veille de la fête de la Saint-Nicolas (suivant le calendrier julien), dans son petit appartement, auprès de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru, à Paris, avec ses dernières paroles : «Gloire à Toi, qui nous a fait voir la lumière». Il est enterré dans la crypte de l’église de la Dormition, auprès du cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne).

Dénué de toute ambition, le métropolite Vladimir n’a jamais cherché le pouvoir. Il y a été porté par les circonstances. Il ne cachait pas que le pouvoir lui pesait, qu’il ne se sentait pas fait pour lui. Son extrême simplicité, sa bienveillance envers tous, sa vie ascétique dans la prière continuelle, mais aussi sa fidélité totale aux canons de l’Eglise, lui ont valu l’estime générale dans le monde orthodoxe. «Il était un des doux auxquels appartient le Royaume. Sa douceur était son arme, c’est par elle qu’il dominait», écrira de lui l’archimandrite Lev Gillet (Messager Orthodoxe, 1959, n° 8).

Archevêque Georges (Tarassov)

Monseigneur Georges (Tarassoff)

L’Archevêque Georges (Tarassov) s’est trouvé pendant plus de vingt ans, entre 1960 et 1981, à la tête de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale. Pendant plus de cinquante ans de sacerdoce, il a été lié à l’évolution de cet archevêché. Tout, dans la vie de ce prélat, était insolite.

Georges Tarassov est né à Voronège (Russie), le 14 avril 1893. Il fit ses études au lycée technique de cette ville, puis à l’Ecole technique supérieure de Moscou, dont il sortit ingénieur-chimiste. Plus tard, il suivit des cours d’aéronautique et s’engagea comme volontaire dans l’armée impériale, où il servit dans l’aviation. En 1916, le ministère de la Guerre l’envoie en France pour s’initier au fonctionnement de l’aviation militaire française. Après la révolution de 1917, il reste sur le front de l’Ouest et s’engage comme pilote dans l’armée belge avec le grade de major. Démobilisé en 1919, il s’installe en Belgique, où il travaille de 1921 à 1934, en qualité d’ingénieur-chimiste, dans diverses entreprises. En 1922, il épouse Eugénie Freshkop, qui allait laisser le souvenir d’une chrétienne très fervente.

Le 25 mars 1928, Georges Tarassov est ordonné diacre par le métropolite Euloge. Il désirait servir l’Église dans cet état tout le restant de sa vie. Néanmoins, le 3 février 1930, des circonstances imprévues conduisent le diacre Georges à recevoir le sacerdoce, par obéissance à son évêque. Il est nommé recteur des paroisses d’étudiants à Gand et à Louvain, paroisses qui s’étaient trouvées sans prêtre du jour au lendemain. En 1932, le père Georges subit une dure épreuve, la mort de son épouse. Un an après, il reçoit la tonsure monastique. En 1940, il est nommé recteur de la paroisse Saint-Pantéléïmon à Bruxelles (rue de la Tourelle), ce qui ne l’empêche pas de continuer à desservir d’autres paroisses en Belgique. Parmi ses paroissiens, il développa un zèle exceptionnel et devint une image vivante de l’amour pastoral. Durant l’occupation allemande, il fut arrêté au moins à deux reprises. Une fois, son interrogatoire dura dix heures consécutives. À la même époque, l’archevêque Alexandre (Némélovskiï), auxiliaire du Métropolite Euloge en Belgique, fut déporté à Berlin, le père Georges assura également le travail pastorale à l’église Saint-Nicolas (rue des Chevaliers).

Quand l’archevêque Alexandre rentra après la fin de la guerre il choisit de se placer dans la juridiction de Moscou, tandis que le père Georges Tarassov resta fidèle à l’Exarchat du Patriarcat de Constantinople et à son nouvel évêque dirigeant, le Métropolite Vladimir (Tikhonicky). Ce dernier l’éleva au rang d’archimandrite en 1948. Élu évêque auxiliaire pour le Benelux et l’Allemagne fédérale, avec résidence dans son ancienne paroisse de Bruxelles, le père Georges est ordonné évêque, le 4 octobre 1953, à Paris, par le métropolite Vladimir, avec la bénédiction du Patriarche œcuménique Athénagoras et du saint-synode de Constantinople, qui lui donnent le titre d’évêque de Syracuse.

Après le décès du Métropolite Vladimir, l’Assemblée générale de l’Exarchat, réuni le 12 juin 1960 pour désigner le successeur du métropolite défunt, élit Monseigneur Georges. Cette élection est confirmée par le Patriarcat œcuménique, le 10 octobre 1960. Devenu Archevêque et recteur de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky à Paris, Monseigneur Georges continua l’activité pastorale qu’il aimait et ne cessa de visiter les villes et les pays de ses fidèles. Mais en 1965, il fut frappé par une nouvelle épreuve : l’organisme ecclésial dont il avait la charge constituait depuis 1931 un « exarchat provisoire » du trône œcuménique; or, une lettre du patriarche Athénagoras, le 22 novembre, mit fin à ce statut administratif extérieur du diocèse. À Monseigneur Georges incombera alors la lourde tâche de sauvegarder l’existence du diocèse qui lui était confié et de préserver ses paroisses des déchirements et d’éventuelles ingérences non ecclésiales. Dans ces circonstances, il eut le courage de proclamer l’indépendance de l’Archevêché, le 29 décembre, ce qui fut confirmé par l’Assemblée générale clérico-laïque en février 1966.

L’Archevêque Georges eut ensuite à faire face à une autre nécessité: consolider et régulariser les liens canoniques qui existaient toujours entre l’Archevêché et le Patriarcat œcuménique de Constantinople. Pour mener à bien cette tâche, il trouva en la personne de son secrétaire diocésain, Cyrille Kniazeff, un collaborateur plein de zèle. Il fut donné à l’Archevêque Georges de voir la réalisation de son vœu : dans une lettre patriarcale et synodale du 22 janvier 1971, le patriarche Athénagoras confirma de nouveau l’appartenance de l’Archevêché au Patriarcat œcuménique. Cet acte entérina aussi l’existence de ce diocèse dans son intégrité ainsi que dans son autonomie interne.

L’Archevêque Georges était profondément imprégné de la tradition et de la piété orthodoxes russes, mais, en même temps, son cœur était largement ouvert à tout homme qui partageait avec lui l’amour de la vérité chrétienne. L’apparition, durant les dernières années de sa vie, de nouvelles communautés orthodoxes de langue française et néerlandaise dans les régions où il avait commencé son ministère pastoral, à Bruxelles, à Gand et aux Pays-bas, fut pour lui une grande joie.

Monseigneur Georges est mort le 22 mars 1981 après une longue maladie. Son dernier message à son clergé et, par son intermédiaire, aux fidèles, a été : « Dites-leur que je les aime tous » – paroles caractéristiques de ce pasteur à la fois humble et courageux. Son corps repose dans la crypte de l’église de la Dormition, au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois, dans le même tombeau que le métropolite Euloge, le fondateur du diocèse, qui l’avait ordonné au diaconat et à la prêtrise.

Mgr Georges (Wagner)

Mgr Georges (Wagner)

Mgr Georges d’Eudociade, dans le monde Georges Wagner, est né à Berlin, le 10 mars 1930, de parents allemands et protestants. Son grand-père paternel était pasteur réformé et, avant la première guerre mondiale, il occupa durant plusieurs années la charge de prédicateur à la cour impériale de Berlin. Sa mère, Marthe Wagner, découvrit l’Orthodoxie durant les années 1930, à l’église Saint-Vladimir sur la Nachodstrasse, dont le recteur était à l’époque l’archimandrite Jean (Schakhowskoy). C’est elle qui introduisit son fils dans les paroisses russes de Berlin, à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ces paroisses étaient alors dirigées par l’archevêque Alexandre (Nemelovskiï), lequel avait été pendant de nombreuses années l’auxiliaire du métropolite Euloge pour la Belgique, puis avait été placé en résidence surveillée par les nazis à Berlin. En 1948, alors que le blocus soviétique maintenait la population berlinoise dans des conditions de vie extrêmement précaire, Georges Wagner fut reçu dans l’Orthodoxie. Mgr Alexandre était déjà reparti pour la Belgique, mais la majorité du clergé berlinois était encore constituée de prêtres issus de l’Institut Saint-Serge, notamment l’archiprêtre Serge Polozhenskiï (†1992) qui joua un rôle important dans le cheminement spirituel du jeune homme.

En 1949, ses études secondaires achevées, Georges Wagner part pour l’Institut de théologie Saint-Serge, à Paris, où il laisse le souvenir d’un étudiant consciencieux et réservé. En 1953, il achève ses études en présentant une thèse de maîtrise consacrée à L’enseignement des Pères de l’Eglise des IIe et IIIe siècles sur la Mère de Dieu qui avait été préparée sous la direction de l’archimandrite Cyprien (Kern). L’autre père spirituel du jeune étudiant est alors l’évêque Méthode qui résidait à Asnières. Au mois de mai de l’année suivante, à l’invitation du patriarche œcuménique Athénagoras Ier, Georges Wagner séjourne à l’Institut de théologie patriarcal de Halki, à Istanbul, en compagnie des professeurs de l’Institut Saint-Serge Antoine Kartachev et Léon Zander. Sa thèse soutenue, Georges Wagner est invité par le Conseil des professeurs de l’Institut à poursuivre une année d’études de spécialisation. Il est envisagé à l’époque de lui confier une partie de l’enseignement de l’exégèse du Nouveau Testament afin d’alléger la tâche de l’évêque Cassien qui, en plus de ses activités pédagogiques et scientifiques, occupait la fonction de recteur de l’Institut. Toutefois, ce projet n’aboutit pas.

Le 29 mai 1955, Georges Wagner est ordonné diacre, en l’église des Trois-Saints-Docteurs, rue Pétel à Paris, et, le 6 juin de la même année, prêtre, par le métropolite Nicolas (Eremin), exarque du patriarche de Moscou en Europe occidentale. Pendant plusieurs années, il accomplit son ministère pastoral à Berlin, dans le diocèse du patriarcat de Moscou, et fonde la paroisse Saint-Jean-Chrysostome, dont il devient le recteur et où les célébrations ont lieu en slavon et en allemand. En 1962, il s’inscrit à la Faculté de philologie de Berlin-Ouest et commence la préparation d’une thèse de doctorat sur la liturgie byzantine de Saint Jean Chrysostome. Les conséquences de la guerre froide ainsi que les changements de responsables à la tête de l’Exarchat du patriarcat de Moscou à Berlin sont autant de raisons qui conduisent le père Georges Wagner à prendre ses distances avec le patriarcat de Moscou. Des agents soviétiques entrent en contact avec lui et cherchent à le convaincre de faire des déclarations publiques pour dénoncer l’impérialisme américain en Allemagne. Le père Georges Wagner refuse courageusement malgré des pressions très fortes. C’est là un épisode de sa vie dont il ne parlait pas volontiers, probablement du fait des menaces qu’il avait reçues après son refus de collaborer à la propagande soviétique. Au sein de l’Exarchat du patriarcat de Moscou à Berlin, la situation a aussi évolué. La direction est assurée par l’archevêque Boris (Vik) qui s’illustre par des déclarations fracassantes en faveur de la politique soviétique. On assiste à une reprise en main des paroisses de Berlin. Les anciens prêtres sont mis sur la touche et remplacés par des prêtres envoyés de Moscou. Parmi ces nouveaux venus, le père Wagner n’entretiendra des relations suivies qu’avec l’higoumène Juvénal Poliarkov qui devait devenir plus tard métropolite de Kroutitsy avec lequel il devait garder des contacts épisodiques jusqu’à sa mort.

Après quelques mois d’hésitation, au cours desquels il fréquente surtout la petite église grecque de Berlin, le père Georges Wagner décide de se tourner vers l’Exarchat des paroisses russes en Europe occidentale dépendant du Patriarcat œcuménique et qui, depuis 1961, se trouvait dirigé par l’archevêque Georges (Tarassov). Son arrivée en 1964 soulève quelques suspicions de la part de certains responsables de l’Exarchat qui craignent une manœuvre du patriarcat de Moscou pour infiltrer l’exarchat, mais finalement, grâce à la caution morale du père Nicolas Afanasieff, son ancien professeur, et du père Georges Drobot, un de ses anciens camarades d’étude à l’Institut Saint-Serge, le père Georges Wagner est admis dans le clergé du diocèse. En 1965, il est élevé au rang d’archiprêtre et, l’année suivante, il est nommé doyen des paroisses de l’Archevêché en République Fédérale Allemande.

En 1967, après la mort du père Nicolas Afanasieff, le conseil des professeurs de l’Institut Saint-Serge confie au père Georges Wagner la chaire de droit canonique. En 1969, il est également chargé de l’enseignement de la théologie liturgique à la place de Théodose Spasskiï. Durant cette période, le père Georges Wagner assure régulièrement les célébrations liturgiques au monastère Notre-Dame de la Toute-Protection à Bussy-en-Othe (Yonne) et établit des liens étroits avec la communauté, notamment avec mère Théodosie, qui marquera profondément son cheminement spirituel. En 1970, il termine sa thèse de doctorat sur « Les sources de la liturgie de saint Jean Chrysostome » qu’il soutient avec succès l’année suivante à l’Université de Berlin. Cette thèse dans laquelle il démontre l’attribution de la liturgie à saint Jean Chrysostome à partir d’une analyse textologique approfondie devait être ensuite publiée, à Münster, sous le titre Der Urprung des Chrysostomusliturgie dans la collection Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forshungen (1973). Le 12 mars 1971, le père Georges Wagner fait sa profession de riasophore, premier degré de la vie monastique, et il est élevé au rang d’archimandrite le dimanche suivant, dans l’église de Chaville.

Le 30 juin de la même année, il est l’un des cinq évêques auxiliaires élus pour l’Archevêché par le saint-synode du Trône œcuménique et il devient évêque titulaire de l’ancien siège d’Eudociade (en Asie Mineure). L’ordination épiscopale de Mgr Georges (Wagner) est célébrée dans notre cathédrale, le dimanche 3 octobre 1971, sous la présidence de l’archevêque Georges (Tarassov), entouré du métropolite Mélétios, évêque du diocèse grec du patriarcat œcuménique en France, de son auxiliaire, l’évêque Jérémie (aujourd’hui métropolite), et des évêques auxiliaires de l’Archevêché, Mgr Méthode (Kuhlman) et Mgr Alexandre (Semenoff-Tian-Chansky). En 1973, l’évêque Georges abandonne ses fonctions pédagogiques à l’Institut Saint-Serge et, après la mort de Mgr Méthode, en avril 1974, il se consacre à la direction pastorale de la paroisse du Christ-Sauveur, à Asnières, où il s’installe. Parallèlement à ce ministère paroissial, mené en commun avec l’archiprêtre Alexandre Rehbinder, il est chargé par l’archevêque Georges Ier des paroisses d’Allemagne et, après la mort de l’évêque Stéphane en 1979, de la Scandinavie. Durant toutes ces années et, jusqu’à l’année dernière encore, Mgr Georges participe activement aux Semaines liturgiques de l’Institut Saint-Serge, en y présentant des communications à plusieurs reprises. Il publie également quelques articles dans le Messager de l’ACER (en russe).

À plusieurs reprises, Mgr Georges assumera certaines responsabilités à la demande du Patriarcat œcuménique: c’est notamment lui qui traduisit en russe le rapport sur Les sources de la Révélation divine d’après l’enseignement de l’Église orthodoxe, présenté par le patriarcat œcuménique à la Commission préparatoire du futur Concile pan-orthodoxe qui eut lieu à Chambésy (Suisse), en 1976. Il publie aussi un article dans l’ouvrage théologique et historique édité par le patriarcat œcuménique, en 1981, à l’occasion du 1600e anniversaire du 2ème Concile œcuménique (Concile de Constantinople en 381). Plus tard, il se voyait confié par le patriarcat œcuménique la préparation d’un dossier sur l’histoire, très complexe, nous disait-il, de l’autocéphalie de l’Eglise de Géorgie, ce qui devait aboutir, en 1991, à la reconnaissance de cette Église comme telle.

Après la disparition de l’archevêque Georges Ier (22 mars 1981), Mgr Georges (Wagner) assure l’intérim jusqu’à la réunion de l’assemblée diocésaine. Il réussit le tour de force de réorganiser très rapidement les structures canoniques du diocèse qui n’existaient pratiquement plus depuis déjà plusieurs années. Le 1er mai 1981, la 11ème assemblée diocésaine présidée par le métropolite Mélétios, exarque extraordinaire du patriarcat œcuménique, l’élit à la tête de notre diocèse. Après confirmation de l’élection par le saint-synode du Patriarcat œcuménique, Mgr Georges est élevé au rang d’archevêque d’Eudociade et, le 5 juillet, il est solennellement intronisé en notre cathédrale, en présence du métropolite Mélétios, des évêques Jérémie et Roman (patriarcat œcuménique), Gabriel (patriarcat d’Antioche) et Adrien (patriarcat de Roumanie) ainsi que d’une quarantaine de prêtres. Mgr Georges devenait également le recteur de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru.

Pendant les douze ans qu’il passa à la tête de l’Archevêché, Mgr Georges devait s’efforcer de réunir des assemblées diocésaines (1982, 1986, 1990) et pastorales (1984, 1989, 1992) régulières, permettant aux clercs et aux laïcs, venant de France, de Belgique, d’Italie ou encore de Suède de se rencontrer, de prier ensemble, de débattre de certains problèmes d’ordre pastoral et liturgique. Spécialiste de la liturgie, il chercha à rendre à la cathédrale la solennité qu’il convient dans les célébrations pontificales, tout en rappelant sans cesse dans ses sermons le sens de la prière de l’Église et des mystères sacramentels. Enfin, l’un de ses principaux mérites consista à renforcer les liens unissant l’Archevêché avec le Patriarcat œcuménique, notamment lors des différentes visites qu’il effectua au Phanar auprès du patriarche Dimitrios Ier avec le recteur de l’Institut saint-Serge, le protopresbytre Alexis Kniazeff (1981), Serge Obolensky (1983, 1986), le père Eugène Czapiuk (1988). Il effectua son dernier voyage au Phanar à l’occasion de la 1ère synaxe des évêque diocésains du Patriarcat œcuménique, réunie, par le nouveau patriarche, Bartholomée Ier, du 30 août au 1er septembre 1992.

Depuis 1989, Mgr Georges avait repris son enseignement à l’Institut Saint-Serge, assurant une partie des cours de théologie liturgique ainsi que l’ensemble du droit canonique. Après la mort du père Alexis Kniazeff, Mgr Georges avait été élu recteur de l’Institut, le 12 février 1991, charge qu’il exerçait en même temps que celle de recteur de la paroisse Saint-Serge. Toutefois, la douloureuse maladie qui s’était déclarée au cours de l’été 1992, une varice du talon, ne devait pas lui permettre de reprendre ses cours à la dernière rentrée académique. Ne pouvant plus tenir debout, Mgr Georges traversa alors la plus dure des épreuves pour l’évêque, le théologien et le liturgiste qu’il était, car il ne pouvait plus célébrer la liturgie. Surmontant la douleur, dont il ne se plaignait jamais, il devait une dernière fois présider la liturgie eucharistique dans la cathédrale, le jour de la fête de la Sainte Rencontre, le 15 février 1993.

Mgr Georges est décédé d’une embolie pulmonaire consécutive à sa maladie, le 6 avril 1993 (la veille de la fête de l’Annonciation de la Mère de Dieu, selon le calendrier julien), en sa résidence épiscopale d’Asnières, à 10 heures du matin. Il s’est éteint sans un mot dans les bras du hiéromoine Nicolas (Moulinier), qui célébrait ce jour-là les offices du grand carême et de l’avant-fête de l’Annonciation dans l’église d’Asnières et qui a pu lui donné la dernière absolution. Peu après, la vêture et la première pannykhide devaient être accomplies par l’évêque Paul de Trachéia, appelé par téléphone, ainsi que par les pères Boris Bobrinskoy, Nicolas Cernokrak, Nicolas Moulinier et le hiérodiacre Nicodème. Les obsèques ont été célébrées le samedi 10 avril, samedi de Lazare, en la cathédrale par le métropolite Jérémie (patriarcat œcuménique) et l’évêque Paul entourés de trente-huit prêtres et six diacres, en présence des évêques Romain, Stéphane (patriarcat œcuménique) et Goury (patriarcat de Moscou). L’inhumation a eu lieu dans la crypte de l’église de la Dormition, au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois. Mgr Georges a été inhumé dans le même tombeau que l’évêque Cassien. On ne peut s’empêcher de remarquer que ses obsèques ont été célébrées le jour où l’Église fête la Résurrection de Lazare, l' »ami de Jésus », auquel Mgr Georges témoignait une vénération particulière, puisqu’il le commémorait lors du congé de célébration à chaque office des défunts.

Mgr Georges a laissé à ses successeurs, au clergé et aux membres laïcs de l’Archevêché, deux leçons. Il enseignait sans relâche la fidélité, tout d’abord, à la tradition orthodoxe, notamment dans sa forme d’expression russe, sans que cela soit incompatible avec la vision universelle de l’Eglise, qu’il gardait toujours présente à l’esprit : “Nous voulons vivre une vie imprégnée de la tradition spirituelle et liturgique toujours vivante que nous avons reçue de l’orient chrétien et de l’ancienne Russie orthodoxe”, déclarait-il dans son discours d’intronisation, en 1981. Il insistait tout particulièrement sur l’importance de la vie liturgique et sacramentelle qui se construit autour de l’évêque et de son représentant, le prêtre, dans la paroisse. D’où l’importance qu’il donnait à la paroisse, au diocèse, et la méfiance qu’il éprouvait à l’égard des organisations et mouvements para-ecclésiaux. Fidèle en toute chose à la Tradition, il savait que la Tradition était l’expression vivante de la vie de l’Eglise et qu’il convenait de l’adapter avec sagesse aux conditions d’existences locales. Il nous faut “rester fidèles à l’héritage spirituel reçu et en même temps travailler à l’actualisation de notre témoignage orthodoxe dans les pays où nous habitons”, répétait-il.

Fidélité aussi au Patriarcat de Constantinople qu’il qualifiait de “grand centre canonique et historique de l’unité conciliaire du monde orthodoxe”. Il est symptomatique qu’il avait dédié sa thèse de doctorat sur saint Jean Chrysostome “à la grande Église du Christ qui est à Constantinople”. Concrètement il insistait sur la nécessité absolue pour l’Archevêché de “garder notre lien avec la plénitude de l’Église orthodoxe par notre présence dans la juridiction du patriarcat œcuménique”. Cette juridiction avait été instaurée sous une forme provisoire en 1931, parce que l’existence paraissait alors temporaire et transitoire. En 1971, elle avait reçu une nouvelle forme, “valable jusqu’à ce que la question de la diaspora soit réglée conformément aux exigences de l’ordre canonique par le Saint et grand concile panorthodoxe”, expliquait-il dans son discours devant l’assemblée pastorale de février 1981.

De là découlait son deuxième grand enseignement, qui consistait à savoir garder précieusement le don de la liberté face aux ingérences et pressions extérieures à l’Eglise, qu’elles soient politiques, nationales, idéologiques. “Dieu a donné à notre organisme ecclésial une grande et précieuse grâce, que nous utilisons tous, mais dont nous ne sommes pas toujours suffisamment conscients: il nous a donné de vivre notre vie ecclésiale dans une pleine liberté vis-à-vis des influences étrangères à l’Eglise et des pressions extérieures venant des puissants de ce monde. Ce don précieux, nous devons le garder, absolument”, disait-il devant l’assemblée générale de l’archevêché en 1982 (Messager diocésain, n° 1-2, p. 22).

Un important recueil d’articles de théologie liturgique de Mgr Georges est paru, en 2003, en français, aux presses de l’Institut Saint-Serge, sous le titre La liturgie, expérience de l’Eglise. Etudes liturgiques. Une traduction de sa thèse de doctorat ainsi qu’un recueil de sermons ont également été édités en russe, à Paris, par les éditions Liturgica.

A. Nivière (© Paris, 2004)

Archevêque Serge (Konovalov)

Monseigneur Serge

L’archevêque Serge Konovalov a été à la tête de l’Archevêché des paroisses russes en Europe occidentale entre 1993 et 2003. Il était également membre de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France; il siégeait au Conseil des Eglises chrétiennes en France. De plus, il était recteur de l’Institut de théologie Saint-Serge à Paris.

Aîné de trois enfants, Vladyka Serge est né à Louvain (Belgique) le 8 juillet 1941 ; sa mère était hollandaise, son père russe. Il aura un frère Alexandre, qui sera diplomate, et une sœur Nadia, qui durant de nombreuses années travaillera pour les aveugles. La famille était bilingue: de leur père et d’un oncle, les enfants apprirent le russe, ils parlaient le français avec leur mère. La famille entière était orthodoxe. Vladyka en dira plus tard : «Nous avons été élevés orthodoxes, mais sans piété particulière. Mais l’aspect ecclésiastique m’a toujours attiré, j’ai été enfant de chœur; plus tard à Louvain j’ai chanté et lu dans la paroisse».

Depuis les années 20, il existait à Louvain (Belgique) une paroisse dédiée aux Saints-Georges-et-Tatiana, fondée par le prêtre Georges Tarassov, le futur Archevêque Georges de Syracuse (†1981). Ce pieux serviteur de Dieu a eu une très grande influence sur la vie spirituelle du jeune Serge, et même plus tard, dans sa marche vers l’autel, il y eut toujours un grand lien entre le vieil archevêque et son enfant spirituel. Les plus anciens paroissiens se souviennent de ce temps, et avec quelle attention Vladyka, enfant, suivait les saints offices. A l’université de Louvain, il étudia les langues germaniques et il devint enseignant au collège Saint-Joseph de Woluwé-Saint-Pierre (Bruxelles). Pour ses élèves, il fut plus qu’un simple enseignant. Chaque année, il organisait des journées de retraite où il donnait lui-même des conférences. Dès que les changements en Russie les rendirent possibles, il organisa des voyages scolaires en Russie. Pour de nombreux anciens élèves, il restera un conseiller.

Après son mariage avec Lydia Pétrovna Tchernenko, il fut ordonné diacre en 1968 pour la paroisse de Louvain. Mais la diminution du nombre des élèves russes à l’université et le fait qu’il n’y ait plus de prêtre à Louvain menèrent à la fermeture de l’église en 1975. Divers objets liturgiques furent transférés à la paroisse de Maastricht de notre Archevêché; le calice et la patène sont toujours employés dans notre paroisse de Deventer (Pays-Bas)

Après la fermeture de l’église de Louvain, il fut nommé à la paroisse Saints-Pantéléïmon-et-Nicolas, à Bruxelles (rue Demot). Il était une intérissable source de connaissances. C’est avec plaisir qu’il traduisait des chapitres entiers du Typikon en néerlandais, et il répondait soigneusement et longuement aux questions pratiques.

Après le décès en 1979 de l’Archevêque Paul de Novossibirsk, qui vivait à Bruxelles, la paroisse fut brièvement desservie par le prêtre Nicolas Soldatenkoff, mais quand celui-ci rentra en France, il était indispensable que cette paroisse importante de la rue Demot ait son propre prêtre. C’est ainsi qu’en 1980, le protodiacre Serge fut ordonné prêtre. À partir de ce moment, il y eut de nouveau une vie liturgique régulière. Le Père Serge aimait les services et il les célébrait entièrement: chaque samedi soir, chaque dimanche, la veille des grandes fêtes et pendant le Grand Carême, deux fois pas semaine, la liturgie des Dons Présanctifiés. Pendant la Semaine Sainte, le père Serge célébrait matin et soir les services prescrits; de plus, il célébrait aussi dans la paroisse de Charleroi et pendant les vacances, au camp d’été des Vitiaz, un mouvement de jeunesse russe, dont il avait été membre dans son enfance.

Après la mort de sa femme Lydia, décédée en 1984 à l’âge de 48 ans, le père Serge dut veiller seul à l’éducation de ses trois enfants. En 1990, il fut tonsuré moine par Mgr Georges (Wagner); peu après, il fut nommé archimandrite. De ce pas, il dit lui-même dans une interview: «Je suis donc devenu moine. Cela veut dire que je voulais me consacrer à une plus grande vie spirituelle». Il devint un père confesseur fort sollicité et apprécié. Feu l’Archevêque Basile (Krivochéine), lui-même homme d’une grande spiritualité, a souvent donné le conseil de se tourner vers le père Serge pour la vie spirituelle.

Après le décès de l’Archevêque Georges (Wagner), le Conseil de l’Archevêché le désigna parmi les candidats à la succession. Sa réponse à la demande s’il acceptait cette candidature fut typique: «S’il le faut».

Après son élection à la tête de l’Archevêché, en mai 1993, il partit pour Paris. Ce ne fut que beaucoup plus tard que de nombreuses personnes se rendirent compte des conséquences énormes que cela eut: il fut obligé de laisser ses enfants seuls. Bien sûr, entre-temps, ils étaient devenus de jeunes adultes, mais ils furent soudain obligés de trouver leur propre chemin et d’habiter seuls. Quant à Vladyka, il s’installa à Paris, à côté de la cathédrale de la rue Daru.

Il ne serait pas exagéré de dire qu’il fut un archevêque ambulant. Il commença par visiter les paroisses : une des premières fut Anvers, mais aussi Deventer, Kollumerpomp, Maastricht et Düsseldorf ont pu se réjouir de sa visite. Il alla aussi en Italie, en Scandinavie et en Espagne où quatre nouvelles paroisses furent fondées.

Au sein de l’Archevêché, il y avait un souhait de plus grande autonomie (ecclésiastique). Avant 1966, l’Archevêché avait eu le statut d’Exarchat du Trône œcuménique, statut qui, pour diverses raisons, avait été perdu en décembre 1965. Sous la direction énergique de Vladyka et avec une ouverture sans précédent envers les paroisses qui eurent voix dans l’élaboration de nouveaux statuts, le Conseil diocésain se réunit chaque mois et mit au point le projet de ces nouveaux statuts. Ensuite, ils furent présentés au saint-synode du Patriarcat œcuménique et, après quelques modifications, ils furent approuvés par lui. Une Assemblée générale de l’Archevêché fut convoquée pour les entériner. L’adoption de ces nouveaux statuts a permis, après un fructueux travail conjoint avec les membres de la commission synodale pour les éparchies, de déterminer ce qu’était notre autonomie par la promulgation du Tomos patriarcal le 20 juin 1999 rétablissant notre Exarchat.

Vladyka était entièrement russe, mais cela ne le rendait pas aveugle aux paroisses «occidentales», au contraire.

Naturellement, les développements en Russie pendant son épiscopat ne sont pas passés inaperçues. En 1995, peu de temps après son sacre épiscopal et son intronisation, Vladyka, avec la bénédiction du Patriarche Bartholomée, s’est rendu à Moscou où il a été reçu par le Patriarche Alexis; la concélébration avec le Patriarche était le signe du rétablissement de l’entière communion avec l’Eglise de Moscou. Vladyka a encore fait quelques pèlerinages en Russie et, en août 2000, il a assisté à la canonisation des Nouveaux martyrs et Confesseurs du XXe siècle. C’est à juste titre que, dans ses condoléances, le Patriarche de Moscou a témoigné de la part qu’avait eu Vladyka Serge dans le rétablissement de l’unité spirituelle du peuple russe. En ce qui concerne la question difficile des juridictions, il a choisi le chemin du juste milieu, car conserver et renforcer l’unité dans le diocèse était son premier et plus grand souci. Ce n’est pas étonnant qu’après presque dix ans d’épiscopat il soit épuisé. Il eut le temps de faire ses adieux à plusieurs personnes, mais personne ne se doutait que la fin viendrait si vite. Le mercredi 22 janvier 2003 nous recevions la triste nouvelle du décès inopiné le même matin de l’archevêque Serge. Il est décédé d’un infarctus cardiaque, seul, en moine, dans sa cellule.

Le 25 janvier 2003, après la liturgie et le service des funérailles, le corps de l’Archevêque Serge a été transféré au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, où il repose dans la crypte, à côté de ses prédécesseurs.


† Evêque Gabriel de Comane

(tiré du Messager Diocésain, n° 16, juin 2003, pp. 11-13)

Archevêque Gabriel (de Vylder)

Archevêque Gabriel de Comane

L’archevêque Gabriel de Comane (dans le monde Guido de Vylder) est né le 13 juin 1946, à Lokeren, près de Gand, (Belgique), dans une famille flamande de confession catholique-romaine. Après des études secondaires au lycée Saint-Nicolas, il reçut une formation technique, étant appelé à succéder à son père à la tête de l’entreprise familial. Après avoir accompli son service militaire terminé en 1966, il entra à l’institut des vocations tardives de Courtrai où il étudia jusqu’en 1970. De 1970 à 1974, il étudia la philosophie et la théologie au séminaire de Gand. Pendant cette même période, il fit connaissance avec l’Orthodoxie dans les paroisses orthodoxes russes de Belgique et des Pays-Bas, et cette recherche le conduisit à refuser l’ordination aux ordres mineurs dans l’Eglise catholique. Au mois de janvier 1974, il fut reçu dans la communion de l’Eglise orthodoxe à la paroisse Saint-André à Gand qui relevait à l’époque de la juridiction de l’Archevêché. Jusqu’en 1976, il poursuit sa formation à la section des études morales et religieuses de l’université de Louvain.

Le 5 octobre 1975, après avoir été élevé au lectorat et au sous-diaconat, Guido de Vylder fut ordonné diacre par l’archevêque Georges de Syracuse en la paroisse de la crypte de Sainte-Trinité, à Paris. Le 27 juin 1976, il fut ordonné prêtre par l’archevêque Georges en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, à Paris. L’année suivante, le 18 mai 1977, il était nommé recteur de la paroisse Saint-Jean-Chrysostome à Maastricht (Pays-Bas), une paroisse fondée en 1972 et dont il s’occupera jusqu’en 2003, tout travaillant comme professeur d’histoire des religions, dans l’enseignement secondaire néerlandais, de 1976 à 1997. Dans les années qui suivent, il participe activement à la création d’autres paroisses à Deventer, à Breda et à Anvers, et y assure le travail pastorale, jusqu’à ce qu’elles deviennent ensuite des paroisses indépendantes avec leurs propres prêtres. Il fonde aussi une chapelle à Kollumerpomp, en Frise, à l’extrême nord des Pays-Bas. Le 9 mars 1985, le père Guido fut élevé à la dignité d’archiprêtre par l’archevêque Georges d’Eudociade. Il fut ensuite nommé recteur de la paroisse russe Saint-Alexandre-Nevsky, à Liège., à compter du 1er janvier 1993. Grâce à ses efforts, cette paroisse est maintenant reconnue officiellement par l’Etat belge.

En 1993, le nouvel archevêque, Mgr Serge d’Eukarpie, nomme le père Guido à la tête du doyenné des paroisses de l’archevêché en Belgique, Pays-Bas et Allemagne. A ce titre, de 1995 à 2003, il représenta l’Orthodoxie dans le Conseil des Eglises aux Pays-Bas. Le 11 mai 1994, le père Guido prononce ses vœux monastiques auprès de l’archevêque Serge, en l’église Saint-Serge-de-Radonège, à Paris, et reçoit le nom de Gabriel en l’honneur du saint archange Gabriel (fête le 11 juillet). Le dimanche suivant, il est élevé à la dignité d’higoumène. Le 21 mai 1998, il est fait archimandrite. Elu par l’assemblée générale de l’archevêché, en 1994, comme membre du Conseil diocésain, il y siège jusqu’en 2002 en tant que représentant du clergé, puis, de 2002 à 2003, ex officio en qualité d’évêque auxiliaire. Il fut également, de 2000 à 2003, membre de l’officialité (commission de discipline). Il participa notamment, en octobre 1998, à la délégation de l’archevêché conduite par l’archevêque Serge au Phanar, siège du Patriarcat de Constantinople, pour rediscuter du statut de l’archevêché au sein du Patriarcat œcuménique, discussion qui aboutira à l’octroi du Tomos de juin 1999.

Toujours à la fin des années 1990, l’archimandrite Gabriel participe également à un pèlerinage diocésain en Terre Sainte et à un autre dans les monastères de Russie. Elu évêque de Comane et auxiliaire de l’archevêque Serge par le saint-synode du patriarcat œcuménique, le 1er janvier 2001, il est ordonné à l’épiscopat, le 24 juin 2001, en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, à Paris. À la suite du décès de l’archevêque Serge, survenu le 22 janvier 2003, il assure provisoirement l’intérim à la tête de l’archevêché en tant que locum tenens. Il est alors confronté à de violentes attaques mettant en cause à la fois sa personne et le statut canonique de l’archevêché au sein du patriarcat de Constantinople. La diffusion d’une lettre adressée par le patriarche de Moscou Alexis II, le 1er avril 2003, aux « paroisses de tradition russe en Europe occidentale » pour leur proposer une nouvelle structure d’organisation ecclésiale dans la juridiction du Patriarcat de Moscou suscita de fortes tensions auxquels il dut faire face.
Elu à la tête de l’archevêché par l’assemblée des délégués clercs et laïcs le 1er mai 2003, au second tour de scrutin, avec une large majorité (134 voix sur 168 votants), Mgr Gabriel fut élevé à la dignité d’archevêque par le Saint-Synode du Trône œcuménique, le 3 mai, et nommé par le patriarche Bartholomée Ier exarque patriarcal. Son intronisation solennelle eu lieu, le 24 juin, en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky. A partir de cette date il préside aux destinées de l’Archevêché, exerçant la présidence du Conseil diocésain, de quatre Assemblées générales clérico-laïques (2004, 2007, 2008, 2010), de plusieurs assemblées pastorales ainsi que des conférences diocésaines, mises en place à son initiative. En plus de sa charge à la tête de l’archevêché, Mgr Gabriel exerce les fonctions de recteur de l’Institut de théologie Saint-Serge, de 2003 à 2013, de recteur de la paroisse du Christ-Sauveur à Asnières, de 2003 à 2011, et de recteur de la paroisse de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, de 2009 à 2013

Mgr Gabriel a cherché à manifester la présence de l’Archevêché sur la scène interorthodoxe. Il a ainsi effectué plusieurs visites au siège du Patriarcat œcuménique. Il a participé à des délégations officielles au côté du patriarche Bartholomée Ier auprès de l’Eglise de Géorgie, à Tbilissi, en 2004 et 2006, et auprès de l’Eglise orthodoxe russe, à Kiev, en juillet 2008. Il s’est rendu en visites officielles auprès des Eglises de Pologne, en mai 2008, et de Finlande, en février 2005. Il a reçu et rencontré à Paris le patriarche Bartholomée Ier, à trois reprises (février 2007, avril 2009 et avril 2011), mais aussi le patriarche de Moscou Alexis II, en octobre 2008, le métropolite Sawa de Varsovie, en septembre 2004, le métropolite Léo de Finlande, en août 2004. Il avait présidé un pèlerinage diocésain en Terre sainte en octobre 2011, au cours duquel il avait été décoré par le patriarche Théophile III de Jérusalem de la croix de chevalier du Saint-Sépulcre.

Les neuf années passées par Mgr Gabriel à la tête de l’Archevêché ont été marquées par de nombreux événements, certains radieux et porteurs de grâce (ainsi Mgr Gabriel s’est rendu en visite dans toutes les paroisses et communautés de l’Archevêché sans exception, il a présidé plusieurs consécrations de nouveaux lieux de culte à travers l’Europe, dont notamment la nouvelle église du monastère Notre-Dame-de-Toute-Protection à Bussy-en-Othe, il a ordonné une quarantaine de prêtres et diacres), d’autres plus sombres (la prise de force de l’église de Biarritz et le procès qui s’en suivit, le passage au patriarcat de Moscou des paroisses de Perpignan, Lyon, Altéa et Charleroi, la perte de la cathédrale Saint-Nicolas de Nice attribuée par décision des tribunaux civils à l’Etat russe), et il est, sans conteste, trop tôt pour apporter une appréciation définitive à toute cette période. L’acceptation dans la juridiction de Constantinople de plusieurs paroisses orthodoxes de Grande-Bretagne, conduite par leur évêque de l’époque, Mgr Basile (Osborn), et leur intégration au sein de l’Archevêché a constitué de la part de Mgr Gabriel un acte courageux qui visait à permettre à ces communautés de continuer à mener leur vie liturgique et pastorale dans la paix et la conformité à l’héritage spirituel de leur fondateur, le métropolite Antoine de Souroge, ce qu’elles n’estimaient plus possible de réaliser dans le cadre de leur précédent rattachement canonique. La proclamation solennelle de la glorification du père Alexis Medvedkov, ainsi que du père Dimitri Klépinine, de mère Marie (Skobtsov) et de leurs compagnons Élie Fondaminsky et Youri (Georges) Skobtsov, canonisés par le saint-synode du Patriarcat œcuménique à la demande de Mgr Gabriel, le 16 janvier 2004, fut, sans aucun doute, un moment marquant, comportant une portée particulière pour l’Église orthodoxe en Occident comme pour l’Église universelle. Il s’agissait de la première canonisation de saints de l’Église orthodoxe ayant vécu en Europe occidentale à l’époque moderne. Mgr Gabriel présida la liturgie solennelle de glorification, les 1er et 2 mai 2004, en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky.

La santé de l’archevêque Gabriel qui avait été soigné pour une tumeur cancéreuse aux poumons au début de l’année 2011 s’est rapidement détériorée dans la deuxième moitié de l’année 2012 du fait de séquelles du traitement de chimiothérapie. Depuis son départ à la retraite, en janvier de cette année, Mgr Gabriel s’était installé dans sa maison auprès de l’église de Maastricht et il continuait à suivre un traitement médical très lourd. Quelques jours avant son décès il avait du être placé dans la maison d’accueil et de soin « De Keerderberg ». Après une soudaine détérioration de son état, il est à nouveau transféré, le 24 octobre, à l’hôpital académique de Maastricht (AZM). C’est là qu’il s’est éteint dans la nuit du 25 au 26 octobre. Dès l’annonce de son décès, le métropolite Emmanuel a diffusé le message suivant : « Je viens d’apprendre une douloureuse nouvelle et souhaitais la partager immédiatement avec vous. L’archevêque Gabriel est décédé. Prions pour le repos de son âme et que sa mémoire soit éternelle. »

Le corps du défunt archevêque a été placé dans l’église de Maastricht, dans la soirée du 26 octobre, et il doit être transféré à Paris en milieu de semaine. Les obsèques de Mgr Gabriel seront célébrées en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, sous la présidence du métropolite Emmanuel, qui administre temporairement l’Archevêché. L’inhumation devrait avoir lieu ensuite dans la crypte de l’église du cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), où reposent déjà ses prédécesseurs, les métropolites Euloge et Vladimir ainsi que les archevêques Georges (Tarassoff), Georges (Wagner) et Serge (Konovaloff).

« Voici donc venu le moment de me séparer de vous. […] Par delà les tribulations de toutes sortes, ayez toujours confiance et espérance dans la Parole de Dieu qui est le gage de notre salut et l’affermissement de notre Eglise. La liberté de l’Église et l’universalité de la foi orthodoxe sont les deux trésors que j’ai cherchés à conserver, à l’exemple de mes prédécesseurs à la tête de cet Archevêché. Et cela, pour nous permettre de nous concentrer sur ce qui, aux yeux des disciples du Christ, doit constituer l’« unique nécessaire » : « Cherchez le Royaume de Dieu et Sa justice », comme nous le commande le Seigneur lui-même (Mat 6,33). Ma dernière parole sera pour vous demander de garder votre amour et votre unité. C’est là le trésor le plus précieux de notre Eglise. Daigne le Seigneur « vous donner un esprit de sagesse » et « illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel » (Eph 1, 17-18) » (lettre pastorale de Mgr Gabriel, datée du 8 janvier 2013).

A.N.

Voici un extrait d’une lettre pastorale de Monseigneur publiée pour la fête de Pâques 2012:
« …Lorsque nous regardons nos vies, la vie de tous les hommes de la terre, nous sommes tentés par la tristesse et nous pourrions dire comme l’Ecclésiaste : « Tout est vanité et poursuite du vent » (Ec II,17). Que de malheurs, combien d’amours qui se brisent ! La maladie grave, l’accident inattendu, la vieillesse où tout décline sont autant de sujets d’accablement. Beaucoup de jeunes doutent de leur avenir et sont envahis par l’angoisse, cherchant quelquefois des substituts sans lendemain.
Face à ces peurs, face à ces angoisses, il nous faut nous souvenir qu’avant Pâques il y a le Vendredi de la Passion ! Il nous faut repenser à Gethsémani – « Mon âme est triste jusqu’à la mort » – et à la crucifixion – « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Alors nous comprendrons que la Résurrection n’est pas une simple et aimable fête de famille que l’on oublie dès le lendemain, mais un véritable jaillissement, une hymne à la vie et à l’amour ! Si le Christ a accepté la souffrance, l’abaissement (la « kénose »), l’exclusion, le rejet, la terrible solitude, l’abandon de ces apôtres et, en final, la mort sur la Croix, c’est pour qu’au travers du mystère de la Résurrection qui a suivi nous n’ayons plus peur ! … »