Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

Patriarcat de Moscou

In memoriam N. M. Ossorguine (1924-2014)

« Je chanterai mon Dieu tant que je serai » (Ps 103).
« Récitez des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés ;
chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur » (Eph 5,19)

In memoriam n. m. ossorguine (1924-2014)

Nicolas Ossorguine

Nicolas Ossorguine, ancien professeur à l’Institut de théologie Saint-Serge et maître de chapelle à l’église de la paroisse Saint-Serge-de-Radonège à Paris, est décédé, dans la soirée du 5 novembre 2015, dans sa 91e année. Ses obsèques auront lieu le jeudi 13 novembre en l’église Saint-Serge, où il avait servi comme chantre titulaire et maître de chapelle depuis 1951 jusqu’à ce qu’en 2011 la maladie l’empêche de faire les quelques mètres qui séparaient son appartement de l’église. L’inhumation aura lieu ensuite au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois.

Il n’est pas excessif de dire que toute la vie de Nicolas Ossorguine a été liée à la propriété du 93 de la rue de Crimée, plus connue sous son nom russe de « Sergiévskoïé podvorié » (« métochion » ou « prieuré Saint-Serge ») qui lui avait été donné au moment de son achat, en 1924, par le métropolite Euloge.

Nicolas Ossorguine était le deuxième fils de Michel Ossorguine (1887-1950), ancien officier au régiment des cuirassiers de l’Impératrice et maréchal de la noblesse de Kalouga, et de la comtesse Hélène Mouraviev-Vilenskiï (1893-1968). Ses parents avaient émigré après la Révolution russe et le désastre des Armées blanches en Crimée, d’abord à Constantinople, puis en Allemagne et, enfin, à Paris. Le 18 juillet 1924 (jour de la fête de la découverte des reliques de saint Serge de Radonège, selon le calendrier julien), Michel Ossorguine, mandaté à cet effet par le métropolite Euloge, avait acheté aux enchères publiques, pour le compte du métropolite, la propriété du 93 de la rue de Crimée, à Paris, où Mgr Euloge entendait installer à la fois une nouvelle paroisse, l’église de la rue Daru ne pouvant pas accueillir tout le flot des exilés, ainsi qu’une école de théologie pour former les prêtres et théologiens dont l’émigration avait un grand besoin.

Dès le 7 septembre 1924, alors que les travaux dans la propriété n’avaient pas encore commencé, Michel Ossorguine qui avait été chargé de superviser les travaux de remise en état de la propriété et de restauration de l’église, s’installe sur place avec sa femme alors enceinte et son fils aîné âgé de 3 ans, Michel, dans la petite maison du gardien située à l’entrée de la rue de Crimée. C’est là que, le lendemain même de leur installation, le 8 septembre, son deuxième fils Nicolas naît. Il est baptisé quelques jours plus tard, le 22 septembre, dans cette même maison, car l’église n’avait pas encore été ouverte aux célébrations (comme la paroisse Saint-Serge n’existait pas encore à ce moment, son baptême fut inscrit dans les registres de l’église de la rue Daru). L’office fut célébré par le métropolite Euloge, assisté de l’archiprêtre Jacques Smirnoff, recteur de l’église de la rue Daru.

Nicolas Ossorguine passe ensuite toute son enfance et sa jeunesse à la colline Saint-Serge, auprès de ses parents, mais aussi auprès des éminents professeurs de l’Institut et des étudiants des différentes promotions qui se succédèrent à partir de 1925. Il sert comme acolyte à l’église Saint-Serge, puis chante dans la chorale avec ses deux frères, l’aîné Michel et le cadet Serge, sous la direction de leur père qui occupait les fonctions de premier maître de chapelle et psaltiste (« psalomchtchik ») de la paroisse. Nicolas Ossorguine est ordonné lecteur par le métropolite Euloge en l’église Saint-Serge, le lendemain de Noël (selon l’ancien style), le 8 janvier 1939. Après ses études secondaires au Lycée russe de Paris, il entre comme étudiant à l’Institut Saint-Serge dont il termine le cycle complet en 1950. La même année, il épouse Irène Aleksandrovicz, dont il aura un fils, Michel.

A la mort de son père, survenue en octobre 1950, Nicolas Ossorguine reprend la direction de la chorale et devient le psaltiste de la paroisse Saint-Serge. A ce titre, il assure à l’église Saint-Serge le chant du cycle liturgique complet, soir et matin, durant toute l’année, à l’exception de la période d’août-septembre quand il prenait ses vacances sur la côte Atlantique, à Saint-Georges-de-Didonne. En plus de la direction de la chorale, Nicolas Ossorguine remplace aussi son père à l’Institut Saint-Serge dans l’enseignement des rubriques (l’« oustav ») et du chant liturgique, enseignement qu’il assura plus de cinquante ans, jusqu’en 2005. Pendant de très nombreuses années, il est également le gérant des locaux de la colline Saint-Serge ainsi que le responsable de la fabrique diocésaine de cierges, installée dans l’un des bâtiments de la propriété, jusqu’à sa fermeture au milieu des années 1990.

A l’Institut Saint-Serge, lors de ses cours, mais aussi durant et après les célébrations liturgiques, en proposant remarques et commentaires aux clercs et aux choristes présents, Nicolas Ossorguine s’efforçait d’aborder les rubriques non seulement sous leur aspect pratique, mais il s’attachait aussi à en dégager le sens théologique. Cette approche théologique du cycle liturgique, il avait aussi l’occasion d’en montrer toutes les implications dans ses communications et interventions aux Semaines liturgiques Saint-Serge, dont il était un participant régulier depuis leur fondation en 1956. Un de ses thèmes de prédilection était la question du calendrier, sur laquelle il défendait une opinion claire et conséquente, soulignant la nécessité de passer entièrement au nouveau style, tant pour les fêtes fixes que mobiles, afin d’être en conformité avec la réalité astronomique. Il avait d’ailleurs été consultant, en tant qu’expert, à la Commission interorthodoxe préconciliaire qui s’était penchée sur la question du calendrier, lors de sa session plénière de 1977, au Centre patriarcal de Chambésy, près de Genève. Plusieurs de ses articles sur ces questions ont été publiés dans les recueils annuels des Actes des semaines liturgiques ainsi que dans la revue Le Messager de l’Exarchat.

Mais c’est, sans aucun doute, en tant que chantre, maître de chapelle et directeur de chorale que Nicolas Ossorguine était connu du plus grand nombre. Son chant était unanimement apprécié en raison de sa grande pureté, une voix de 1er ténor, claire et limpide, une oreille musicale absolue, la recherche d’une exécution parfaite et juste, l’attachement aux anciennes traditions du chant liturgique russe (respect des 8 tons, utilisation des mélodies neumatiques ou « znaménié » ainsi que des mélodies monastiques). Dès le milieu des années cinquante, Nicolas Ossorguine avait repris les tournées de concerts de la chorale Saint-Serge, initiées avant guerre par Léon Zander. De nombreuses tournées eurent lieu à travers la France, mais aussi à l’étranger, en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Suède, et se poursuivirent jusqu’au milieu des années 1990. Le plus souvent ces concerts étaient donnés au profit de l’Institut Saint-Serge, parfois au profit du monastère de Bussy-en-Othe, ainsi que dans le cadre de l’Association des amateurs du chant liturgique russe.

In memoriam n. m. ossorguine (1924-2014)

Nicolas Ossorguine et son fils, Michel, en concert

La chorale Saint-Serge produisit sous la direction Nicolas Ossorguine deux disques qui transmettent la tradition du chant monastique russe, telle que son père l’avait apportée de Russie et telle qu’elle était et continue à être appliquée dans les célébrations liturgiques à l’église Saint-Serge. Nicolas Ossorguine était lui-même l’auteur d’harmonisations de plusieurs hymnes liturgiques russes suivant des mélodies anciennes et il avait participé au comité de rédaction des deux volumes du recueil de chant liturgique russe réalisé par un groupe de compositeurs et chefs de chœurs de l’émigration, dans les années 1960-1970. De très nombreux clercs, prêtres et diacres, choristes et maîtres de chapelles de paroisses en France et à l’étranger doivent à Nicolas Ossorguine leur formation chorale, leur connaissance du chant et de l’ordo, leur amour de la beauté liturgique contenu dans les différents cycles des offices de l’Eglise orthodoxe.

Nicolas Ossorguine était très impliqué non seulement dans la vie de l’Institut et de la paroisse Saint-Serge, mais aussi dans la vie du diocèse. Il fut délégué laïc à toutes les assemblées diocésaines, depuis celle de 1946 qui élit Mgr Vladimir à la tête du diocèse après la mort du métropolite Euloge, jusqu’à celle de 2007. Il siégea au Conseil diocésain comme membre laïc élu, en 1966-1967, puis de 1981 à 1999. Il était également membre de la Confrérie des sous-diacres, lecteurs et acolytes Saint-Alexandre-Nevsky et de la Fraternité Saint-Serge-et-Saint-Nikon.

Deux mots caractérisent sans aucun doute toute la vie de Nicolas Ossorguine : service et devoir. Il était un homme au service de l’Eglise, au service du « Serguievskoïé Podvorié » et des différentes institutions ecclésiales qui s’y trouvaient – l’église, l’Institut de théologie, la paroisse, la ciergerie. Pendant 50 ans, matin et soir, quoiqu’il arrive (sauf de rares périodes de vacances), Nicolas Ossorguine était présent à l’église, sur le « kliros », pour lire et chanter les offices du cycle liturgique quotidien, qu’il s’agisse de diriger la chorale quand il y en avait une, ou de réciter tout l’office tout seul les jours où il n’y avait personne au « kliros » pour l’aider ou bien encore d’instruire et montrer comment faire aux deux-trois étudiants maladroits qui se trouvaient là. Mais, quoiqu’il arrive, lui, il était là, matin et soir. Ce service du chant de l’office divin était pour Nicolas Ossorguine  un devoir. Tout comme il avait le sens profond du devoir de transmettre la tradition ecclésiale, celle de la célébration liturgique et du sens théologique de ses cycles et de ses rites suivant les rubriques, celle du chant liturgique selon les anciennes mélodies propre à l’église Saint-Serge, transmettre la tradition du « Sergievskoïé podvorié » qu’il avait lui-même reçu de son père et des illustres professeurs qu’il avait côtoyés depuis son enfance à l’Institut de théologie, une tradition qu’il avait à son tour fait fructifier. « Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Maître » (Mt. XV,21).

A.N.