« Notre patrie terrestre, ce sont les différents pays de l’Europe occidentale »
Entretien avec Mgr l’Archevêque Gabriel de Comane
– Monseigneur, comment se porte l’Archevêché aujourd’hui ?
Aujourd’hui, l’Archevêché compte plus de 70 paroisses et presque 20 communautés qui célèbrent la Divine Liturgie. Ces dernières années, nous avons ouvert de nouvelles paroisses. C’est le cas en Norvège où nous avions une paroisse et trois communautés et où se trouvent aujourd’hui six communautés. En Suède, une nouvelle paroisse a été ouverte, dans le nord du pays. En France, nous avons une nouvelle paroisse à Metz et une autre à Strasbourg. En Italie, une petite communauté monastique de moniales nous a rejoints. Par contre, en Espagne, notre organisation reste encore fragile.
J’ai ordonné plusieurs prêtres ces derniers temps, mais beaucoup de paroisses n’ont pas encore de prêtres attitrés. D’autre part, avec l’afflux des nouveaux immigrants russophones que l’on observe aujourd’hui, nous manquons de prêtres bilingues capables de les accueillir et de les confesser.
– Quelle est la vocation de l’Archevêché ?
Notre patrie terrestre, ce sont les différents pays de l’Europe occidentale. Nous devons accepter cette réalité et agir selon cette réalité. Ainsi, beaucoup de paroisses emploient les différentes langues locales, le norvégien, le suédois, le néerlandais, le français, l’allemand, à côté de nos paroisses d’origine russe qui continuent bien sûr à utiliser le slavon d’Eglise, mais en introduisant aussi souvent les langues locales, notamment lors des célébrations des mariages, des baptêmes, des enterrements… C’est la réalité sociologique qui veut cela.
Pour tout ce qui concerne l’ordo des célébrations (le typicon), le chant liturgique, l’iconographie, les vêtements liturgiques, etc., nous nous rattachons à la tradition liturgique de l’Eglise russe, que nous avons reçue de nos pères dans la foi, que nous aimons et que nous chérissons. Mais, nous gardons et appliquons cette tradition avec discernement, toujours pour tenir compte des réalités pastorales : ainsi on peut remarquer une grande souplesse d’adaptation. Par exemple, dans notre paroisse allemande de Düsseldorf, une importante partie des fidèles est d’origine grecque. Ils viennent dans cette paroisse parce que la langue liturgique employée est l’allemand, alors qu’ils ne comprennent plus le grec. Mais, ils ont apporté avec eux quelques usages grecs.
Autre exemple, pour la divine liturgie des grandes fêtes quand elles tombent en semaine, que vaut-il mieux ? La célébrer le matin même et, du fait que la plupart des gens travaillent y compris souvent le prêtre, il n’y a personne, voire même pas de liturgie du tout, ou la déplacer au dimanche précédent ou suivant ? Mais dans ces conditions ce n’est déjà plus vraiment la fête. C’est pourquoi j’ai autorisé, dans certains cas, le soir même de la fête, une célébration de l’eucharistie, précédée des matines, afin que les fidèles puissent y participer après leur travail.
– Quels sont les grands « chantiers » actuels au sein de l’Archevêché ?
Il y a au tout d’abord une réorganisation administrative, autour de la nouvelle équipe qui s’est mise en place après le dernier renouvellement du Conseil diocésain et qui a lancé plusieurs initiatives suivant les axes que j’avais dessinés après mon élection.
Nous avons engagé une vaste réflexion sur le sens de l’Église locale, sur notre rôle en tant qu’Archevêché et aussi sur le rôle de chacun d’entre nous chrétiens orthodoxes vivant ici en Occident dans la construction d’une Eglise territoriale dans les pays où nous avons été appelés par le Seigneur à témoigner de l’orthodoxie. Ces questions ont été abordées lors de l’assemblée pastorale du 1er novembre 2004, et plus récemment lors de la première conférence diocésaine organisée le 1er octobre 2005 au cours de laquelle nous avons eu un exposé très riche, très instructif, de Mgr Kallistos (Ware). Chacune de ces rencontres a été l’occasion d’un vrai débat, d’un échange d’opinions les plus diverses, et il faut continuer, pour que toutes les voix dans l’Eglise puissent se faire entendre. L’année prochaine, qui sera l’année du 60e anniversaire du décès du fondateur de notre Archevêché, le métropolite Euloge de bienheureuse mémoire, nous avons l’intention d’organiser une nouvelle conférence diocésaine consacrée au sens de l’héritage spirituel du métropolite Euloge aujourd’hui.
Nous avons aussi mis sur pied une commission pour l’accueil et la catéchisation des nouveaux arrivants russophones. Nous nous sommes rendus compte qu’une catéchèse pour ces nouveaux immigrants existaient auprès de plusieurs de nos paroisses en province, mais rien à Paris. En octobre de cette année, ont débuté, à Paris, à des séances d’entretiens sur la foi chrétienne en langue russe, qui doivent permettre à tous ceux qui le désirent d’approfondir leur connaissance de la foi orthodoxe qu’ils ont reçues par le saint baptême. L’archiprêtre Wladimir Yagello et le père Vladislav Trembovelski ont accepté de prendre en charge ces cours. Je leur en suis très reconnaissant. Ces entretiens sont associés à des cours de langue française pour aider à une meilleure intégration de ces personnes dans leur pays d’accueil. Les premiers résultats sont très encourageants, une trentaine de participants réguliers. Nous souhaitons que cette initiative puisse se développer dans différentes paroisses.
D’autres commissions se mettent en place. Une commission doit être consacrée aux questions canoniques et juridiques afin de réfléchir sur un certain nombre d’aspect de la vie de l’Archevêché, son statut civil et canonique, son avenir, la nature des relations entre l’Archevêché et les paroisses sur le plan légal, etc.
Une commission consacrée aux archives de l’Archevêché est également en place. Il s’agit de rassembler les archives et divers documents concernant l’histoire de l’Archevêché. L’objectif est de pouvoir les classer, puis éventuellement de les publier.
Il faut aussi mentionner l’ouverture de notre site web qui est dorénavant un outil de communication important pour l’Archevêché.
A cela, j’ajoute les réunions des doyens de notre archidiocèse. Être doyen est une responsabilité, et non un titre honorifique, dont l’Église a besoin. Nous avons eu une réunion générale des doyens de l’Archevêché en juin dernier. Avant cela il y avait eu une réunion du doyenné de la région parisienne en février dernier, à laquelle avait participé les recteurs et marguilliers des paroisses de Paris et des alentours. Il doit y avoir bientôt une réunion du doyenné de Belgique. C’est important que l’on puisse ainsi se rencontrer, ailleurs que lors des assemblées diocésaines qui n’ont lieu que tous les trois ans, pour parler des problèmes de la vie quotidienne.
– Et pour l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge ?
Il a un passé glorieux, mais maintenant il faut regarder vers l’avenir. Tout le monde est d’accord pour dire que l’Institut Saint-Serge a besoin de réformes pour affronter l’avenir. C’est notre responsabilité commune. L’Institut Saint-Serge est aujourd’hui la seule école de théologie orthodoxe avec un cycle d’étude complet en langue française. Il est ouvert à tous et je souhaite inviter mes frères dans l’épiscopat membres de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France à y participer davantage. Je voudrais aussi que l’on n’oublie pas qu’au moment de sa fondation avait reçu aussi pour mission de former de nouveaux prêtres. Et nous avons besoin de prêtres aujourd’hui. À ce propos, je crois qu’il faut oser parler aux jeunes de la beauté de la prêtrise. Concernant l’œuvre pastorale, j’aimerais, dans notre archevêché, que se mettent en place, dans les paroisses où cela est possible, des équipes de prêtres, comme c’est le cas pour la paroisse Saint-Jean-le-Théologien, à Issy-les-Moulineaux[efn_note]À l’heure actuelle, la paroisse Saint-Jean-le-Théologien a déménagé à Meudon[/efn_note].
– Monseigneur, votre charge est très lourde, l’accident que vous avez eu récemment, dont nous parlerons plus tard, le montre bien pour ceux qui en douteraient. N’avez-vous pas pensé que d’autres évêques seraient nécessaires pour vous aider ?
J’ai déjà à mes côtés un évêque auxiliaire, Mgr Michel, qui a en charge la paroisse Saint-Serge à Paris. Mais il a lui aussi ses problèmes de santé. Bien sûr, il faudrait encore deux autres évêques auxiliaires. Le patriarcat (de Constantinople) est d’accord. Mais il n’est pas facile de trouver des candidats ayant les qualités requises et acceptent cette lourde tâche ! Mais il faut rester serein et garder espoir, je pense que le moment venu le Seigneur suscitera de telles vocations.
D’une manière plus générale, effectivement, le travail pastoral est énorme et indispensable. Je regrette de n’avoir pas assez de temps pour créer des liens avec les prêtres et leurs familles. On dit que l’évêque doit être un père. Plus modestement, je dirais un frère aîné. Lorsque j’étais prêtre, j’ai toujours été soutenu par mes évêques, surtout Mgr Georges (Wagner) et Mgr Serge. Ceux-ci m’ont énormément aidé à traverser des problèmes et à résoudre des difficultés qui se présentaient à moi à tel ou tel moment. Leurs conseils ont toujours été précieux. Cette relation est capitale pour un prêtre. Dans mon esprit, elle doit être amicale, sans que l’autorité hiérarchique en souffre.
– Actuellement, un débat important concernant l’identité de l’Archevêché est engagé. Pouvez-vous faire le point sur celui-ci ?
Pour cela, je veux revenir brièvement sur quelques éléments historiques, car ils nous permettent de construire l’avenir.
À l’époque du métropolite Euloge, l’Archevêché était composé d’émigrés russes. Cela jusqu’aux années soixante, même si deux paroisses francophones, à Paris et à Nantes, existaient dès la fin des années 1920-1930. Avec Mgr Georges (Tarassov), le nombre des paroisses occidentales, par la langue, a augmenté. Au milieu des années 60, on a parlé de l’Eglise orthodoxe de France et d’Europe occidentale. Aujourd’hui, nous disons paroisses de tradition russe, mais notre Archevêché de fait est multinational et multiculturel. Il y a des fidèles d’origine russe, mais pour la plupart d’entre eux citoyens français ou belges ou suédois, et puis des Français, des Hollandais, des Belges, Suédois, Allemands, Italiens, etc., auxquels viennent s’ajouter depuis quelque temps des nouveaux arrivants d’Europe de l’Est, pas que des Russes d’ailleurs, ce sont surtout des Ukrainiens, des Moldaves, des Géorgiens… Tous se retrouvent dans nos paroisses qui suivent la tradition liturgique russe, mais bien souvent utilisent différentes langues dans leurs célébrations. Il s’agit là d’une réalité.
Après mon intronisation comme archevêque, nous avons connu une période difficile dans nos relations avec le Patriarcat de Moscou. Cela semble s’arranger.
L’assemblée pastorale du 1e novembre 2004 a été organisée dans un but de clarification vis-à-vis de la lettre du patriarche de Moscou Alexis II du 1er avril 2003 dans laquelle, comme on sait, est formulée une proposition d’unification des juridictions russes sous son obédience, comme étape préalable à la constitution d’une Eglise autonome locale. Certains au sein de l’Archevêché sont favorables à cette proposition, d’autres non. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’exprimer ma propre opinion, en rappelant notamment que rien ne peut se faire sans l’accord du Patriarcat œcuménique et sans la pleine adhésion de notre propre entité ecclésiale, car le don le plus précieux que nous devons préserver c’est celui de l’unité. Actuellement le climat est meilleur, grâce à Dieu. Les uns et les autres se rencontrent, se parlent, il faut continuer, approfondir notre réflexion qui doit porter uniquement sur ce qui est fondamental, à savoir ce que Dieu veut pour nous « ici et maintenant » et pour son Eglise.
– Quels problèmes se posent pour l’organisation de l’Eglise orthodoxe en Europe occidentale ?
Le vrai problème est l’absence d’une coopération entre les patriarcats pour l’Europe occidentale, pour s’occuper des orthodoxes vivants en Occident et y créer des structures solides. C’est pourquoi, avec les autres membres de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, nous avons entamé une série de visites auprès des différents patriarcats ayant des juridictions dans ce pays afin de leur présenter notre réalité pastorale et de leur exprimer notre vision de l’avenir. Il s’agit de montrer aux Eglises autocéphales que nous ne sommes ni de petits enfants ni des aventuriers, mais que nous désirons nous organiser de façon canonique, bien sûr en tenant compte de la diversité linguistique et culturelle de tous ceux qui composent nos communauté, mais aussi en témoignant de l’unité de l’orthodoxie en un lieu donné.
– Monseigneur, vous avez eu, le 15 février 2005, un grave accident de la route dont vous êtes sorti indemne, certains ont dit miraculeusement. Celui-ci vous a incité à une réflexion en profondeur. Pouvez-vous nous en parler ?
C’est un miracle que j’aie survécu. J’ai perdu conscience en conduisant. La voiture a été complètement détruite. Les sauveteurs, après vingt minutes d’efforts pour me désincarcérer, ont été surpris de me trouver vivant. En arrivant à l’hôpital, je me suis dit : « Tu vas mourir ! ». J’ai vu que tout mon travail pour l’Eglise, si important pour moi, n’avait pas touché l’essentiel. « Qu’est-ce que tu as fait pour sauver ton âme ? », me suis-je dit également. J’étais si occupé par les soucis de ce monde, même ecclésiastiques, que j’avais complètement oublié de soigner mon âme. C’est une expérience spirituelle que je ne veux pas oublier. Cela a confirmé dans mon cœur l’opinion que suis devenu archevêque par la volonté de Dieu qui m’a sauvé. Malgré mes défauts et mes faiblesses, j’ai une mission : évêque orthodoxe né en Occident, y vivant et servant l’orthodoxie en Occident.
Depuis l’accident, je suis plus tranquille pour l’avenir, plus serein. Ce que je dois faire ? La volonté de Dieu, c’est Lui le seul maître de l’Eglise.
Propos recueillis pour Orthodoxie.com