Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

Patriarcat de Moscou

Précisions sur l’indépendance de l’Archevêché survenue le 30 décembre 1965

Le jeudi 4 décembre 2014, Son Eminence l’Archevêque Job de Telmessos et Exarque du Patriarche œcuménique a participé à la présentation du livre de Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée intitulé « A la rencontre du Mystère » au siège du Conseil œcuménique des Eglises à Genève, en présence de ce dernier en visite pastorale en Suisse.

L’Archevêque Job y a prononcé l’allocution suivante:

 align=C’est une joie et un honneur pour moi de présenter ce soir le livre de Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée, intitulé « A la rencontre du Mystère ». Le mystère que Sa Sainteté nous invite à rencontrer personnellement est bien évidemment le « Mystère resté caché depuis les siècles et les générations et qui maintenant vient d’être manifesté à ses saints » (Col 1,26) en Jésus-Christ. Il s’agit du Mystère de la Croix et de la Résurrection que le Patriarche œcuménique ne fait pas que concevoir intellectuellement, mais dont il témoigne personnellement à travers toute sa vie et son œuvre, non seulement en tant que théologien, mais avant tout en tant que pasteur et chef religieux.

 align=Cet ouvrage est en effet un livre très personnel à travers lequel transparaissent ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, tels que la prière avec sa mère, les offices liturgiques à Imbros, son île natale, à l’école patriarcale de Halki où il fut étudiant, et encore de nos jours, les offices quotidiens au siège du Patriarcat œcuménique au Phanar. Tout au long de l’ouvrage, le lecteur peut découvrir les priorités que le Patriarche œcuménique a déterminées dans sa direction et sa vision de l’Église orthodoxe. Pour lui la théologie va de pair avec la liturgie et la spiritualité. De là découle à ses yeux la nécessité d’unité et de coopération entre les Églises orthodoxes locales, des engagements œcuméniques de celles-ci avec les autres Églises et confessions chrétiennes, et du dialogue interreligieux pour une coexistence pacifique des peuples. De là provient également son intérêt pour la cause de la protection de l’environnement contre la pollution et la destruction de l’écologie qui lui tient beaucoup à cœur.

 align=L’ouvrage est donc une invitation au lecteur à se pencher sur de nombreux sujets d’actualité tels que : les droits de l’homme, la tolérance religieuse, l’écologie, la justice sociale, la pauvreté, le sécularisme, la globalisation, la guerre et la paix, le fondamentalisme et le racisme – des sujets qui, selon le Patriarche œcuménique, ne doivent pas être étudiés que par des hommes politiques, des sociologues ou des économistes seuls, mais qui pourraient de prime abord être aussi traités dans une perspective théologique et spirituelle qu’il incarne de manière excellente dans son œuvre pastorale.

1. Un pasteur et un théologien

 align=Il existe un adage patristique, sous la plume d’Evagre le Pontique qui affirme : « Si tu es théologien, tu prieras ; et si tu pries vraiment, tu es théologien ». Ce principe bien connu, mais malheureusement bien souvent peu mis en pratique, trouve sa réalisation fructueuse dans l’œuvre pastorale du Patriarche œcuménique Bartholomée en tant que pasteur et théologien. Il discerne ici la raison pour laquelle « la théologie contemporaine n’offre que peu, voire aucune direction, au monde contemporain ». D’où sa position « Si la théologie n’arrive pas à rétablir son lien avec la vigilance et la prière, de même qu’avec la règle de prière transmise et la liturgie de l’Église, alors elle n’aura plus aucune raison d’être dans l’avenir de l’histoire humaine, étant devenue un simple exercice rationnel desséchant à côté de bien d’autres sciences théoriques. Elle ne fera que remplir nos bibliothèques de dissertations intellectuelles qui, bien qu’argumentées d’excellente façon, pourront difficilement diriger l’âme humaine vers l’amour de Dieu qui donne et qui sauve la vie ». (chapitre 3).

 align=Pour cette raison, une large partie du livre est consacrée à une théologie orthodoxe vécue à travers l’expérience liturgique de l’Église et la vie spirituelle. Après avoir retracé dans le premier chapitre l’histoire de l’Église orthodoxe et de sa théologie, et rappelé le rôle de serviteur qu’incarne le Patriarcat œcuménique pour le maintien de l’unité de l’Église orthodoxe, ce n’est pas un hasard que le Patriarche se penche dans le deuxième chapitre sur l’art, l’architecture et la liturgie qui l’ont imprégné profondément depuis son enfance, durant laquelle les figures de sa mère ou du Métropolite Méliton d’Imbros et de Tenedos furent pour lui déterminants. De là, il en vient à parler du don de théologie au chapitre 3, soulignant que « dans l’Église orthodoxe, la théologie est […] un don. Ce n’est pas une connaissance que l’on acquiert simplement par l’étude ou une recherche scientifique. Ce n’est pas un système compliqué de discours intellectuels, le monopole de quelques spécialistes qui passeraient leur vie dans des bibliothèques. Elle n’est pas enseignée, elle est plutôt reçue. Bien plus, ce n’est pas une expression arbitraire ni une opinion personnelle – en effet, elle ne saurait être articulée en dehors de la continuité vivante de la tradition » (chapitre 3).

Ayant ainsi rappelé le lien intime qui lie la théologie à la liturgie et la vie spirituelle, la Patriarche explique son choix pour la vocation monastique dans le quatrième chapitre consacré à « la vocation d’amour » où il présente le monachisme comme un choix et une vocation impliquant la liberté. La question de la liberté occupe une grande place dans son livre, et est particulièrement développée dans le chapitre 7, consacré à la foi et à la liberté où il est amené à développer la question de la liberté religieuse et des droits de l’homme. Mais la force du message du patriarche réside dans le fait que pour lui, la question de la liberté n’est jamais individuelle, mais toujours collective. Il écrit : « La culture laïque accepte parfois le principe que les droits de l’homme sont un don de Dieu. Toutefois, elle considère en même temps que la relation entre Dieu et l’humanité demeure individuelle et privée. La foi orthodoxe, proposant une autre perspective, essaie de comprendre le cosmos tout entier, de même que chacun et chaque chose dans ce cosmos, en tant que tunique sans couture de la vaste création de Dieu. L’individuel n’existe pas séparé ou isolé du reste de la création et des autres êtres humains, mais dans une relation constante qui informe notre compréhension de l’existence humaine comme provenant du Créateur divin et comme s’enracinant dans l’ordre créé » (chapitre 7).

L’importance de la vie sacramentelle et de la vie spirituelle est de nouveau évoqué au cinquième chapitre, où la pratique du jeûne et la célébration des sacrements ne sont jamais déconnectés dans la pensée du patriarche de leurs implications sociales et cosmiques.

2. Le Patriarche vert

C’est en effet sur la base de cette vision spirituelle que se fonde l’intérêt du Patriarche Bartholomée pour la cause environnementale. Jamais aucun chef d’Église n’a souligné le dialogue œcuménique et le fait de communiquer comme la principale intention de son mandat. Certainement aucun autre chef d’Église dans l’histoire n’a mis en avant la question de l’environnement, vraiment au centre de sa préoccupation personnelle et ecclésiastique. Le Patriarche œcuménique a longtemps placé l’environnement en tête de l’agenda de son Église, en développant des programmes écologiques, en présidant des réunions panorthodoxes, en organisant des séminaires, et en initiant des congrès à travers le monde durant les deux dernières décennies. Ses initiatives pour la réconciliation incluent ses efforts pour la sensibilisation à l’environnement à travers le monde. Ces efforts lui ont valu le titre de « Patriarche vert » et de nombreux prix environnementaux de grande importance.

On comprend dès lors qu’il consacre le sixième chapitre de son livre à la création et au lien entre la religion et l’écologie. Le patriarche affirme : « Mon appréciation de l’environnement naturel est directement liée à la dimension sacramentelle de la vie et du monde. J’ai toujours considéré l’environnement naturel dans la perspective de la spiritualité orthodoxe. Je l’ai respecté comme un lieu de rencontre et de communion avec le Créateur. Comme jeune garçon, accompagnant le prêtre de mon village aux offices dans des chapelles éloignées de mon île natale d’Imbros, j’ai associé la beauté des montagnes à la splendeur de la liturgie. […] C’est à travers les lunettes spirituelles de la théologie orthodoxe que je peux apprécier davantage les aspects plus larges de problèmes tels que : la menace de la pêche océanique, la désertification, l’endommagement des récifs coralliens ou la destruction de la faune et de la flore ».

Le patriarche rappelle sans cesse que l’existence de l’homme est à la fois matérielle et spirituelle. Or, pour lui, l’un des grands problèmes du monde moderne réside précisément dans l’idée que l’homme peut se dissocier de la nature et du monde matériel. Si le monde est dominé exclusivement par des valeurs matérielles, celui-ci est amené à des désordres aussi bien spirituels que physiques. Le patriarche croit profondément que la tradition spirituelle séculaire dont il témoigne par son œuvre nous oblige non seulement à prier pour la planète mais aussi à nous efforcer de toucher les cœurs humains et d’encourager chaque personne à marcher de façon plus humble et plus respectueuse de la création comme un don suprême de Dieu.

Mais la question environnementale dans la pensée du Patriarche n’est jamais séparée d’une sensibilité sociale. Dans la première partie d’un très long huitième chapitre, il nous rappelle que « ces dernières années, nous avons reçu de sévères leçons en matière de protection environnementale. Cependant, nous avons aussi appris que l’action pour notre environnement ne pouvait pas être séparée des relations humaines. Ce que nous faisons pour la terre est intimement lié à ce que nous faisons pour les hommes, que ce soit dans le contexte des droits de l’homme, de la politique internationale, de la pauvreté, de la justice sociale ou de la paix dans le monde. Il nous est devenu plus clair que la façon dont nous répondons à l’environnement naturel se lie et se reflète directement dans la manière dont nous traitons les êtres humains ». C’est dans cette perspective qu’il traite les questions économiques et le problème de la globalisation.

3. Un constructeur de pont

Plus loin, dans ce même huitième chapitre, le Patriarche Bartholomée en vient à parler du dialogue œcuménique et interreligieux. Nous connaissons tous son engagement dans le dialogue avec les autres Chrétiens, particulièrement avec l’Église catholique romaine, ainsi que pour son ouverture envers le judaïsme et l’Islam qui lui valent beaucoup d’estime de l’ensemble de l’humanité. Tout au long de la vingtaine d’années de son ministère en tant que Primus inter pares de l’Église orthodoxe à travers le monde, il s’est inlassablement efforcé d’agir comme un constructeur de ponts.

Il rappelle sans cesse que « le véritable dialogue est un don de Dieu ». Tout en reconnaissant les obstacles que tout dialogue sérieux peut rencontrer, il demeure optimiste car comme il le dit dans ce livre, « jamais auparavant dans l’histoire, les êtres humains n’ont été capables d’apporter autant de changement positif à tant de gens simplement par la rencontre et le dialogue ». Notre époque n’est pas seulement une époque d’anxiété, mais aussi selon lui une époque de dialogue. La notion de dialogue est une notion clé de sa pensée. Il note d’ailleurs dans ce huitième chapitre que « le dialogue n’implique pas de renier sa foi religieuse ou de renier son affiliation religieuse. Il signifie plutôt un changement de notre état d’esprit et un changement d’attitude, ce que nous appelons dans le langage spirituel le « repentir » […] C’est pourquoi le dialogue est le commencement d’un long processus de conversion qui demande beaucoup de patience, non pas une impulsion fondamentaliste visant la conversion ou un quelconque échange légal d’idées, tel un contrat ».

Reprenant les mots de la Déclaration de Berne (1992) et de la Déclaration du Bosphore (1994), le Patriarche s’indigne à plusieurs reprises dans son livre qu’« un crime commis au nom de la religion est un crime contre la religion ». Nul ne peut oublier qu’il a personnellement une expérience de première main de la souffrance. Il sait ce que c’est que d’être constamment assiégé, nargué par des extrémistes qui manifestent régulièrement devant les murs du Patriarcat, demandant son expulsion de Turquie. Le Patriarche joua également un rôle clé dans l’élaboration de la Déclaration de Bruxelles qui affirma, en écho à la Déclaration de Berne de 1992, que « la guerre au nom de la religion est une guerre contre la religion ».

Ceci l’amène à parler de l’engagement de l’Église orthodoxe dans la promotion de la paix dans le monde dans la troisième et dernière partie du huitième et dernier chapitre de son livre. Ici encore, la promotion de la paix n’est pas simplement une question politique, mais se fonde sur une vision spirituelle et sur la pratique de la prière. D’où sa conclusion : « Le concept profond et puissant de réconciliation pénètre chaque aspect de la théologie et de la spiritualité orthodoxe. C’est le thème sous-jacent à la doctrine du Dieu ‘qui a assumé la chair humaine’ (Jn 1, 14). Il inspire la célébration de la liturgie, des sacrements et des prières orthodoxes. Il informe la préservation de l’environnement naturel qui se situe au cœur de mon ministère. Il permet la mission du Patriarcat œcuménique dans ses efforts de construire des ponts entre les religions et les cultures du monde ainsi que de faire la paix entre les peuples et les nations du monde ».

Ainsi, l’ouvrage « A la rencontre du Mystère » du Patriarche œcuménique Bartholomée n’est pas un traité de théologie ennuyeux destiné à un cercle restreint de spécialistes, ni un discours politique démagogue, mais une invitation à un très large public l’aller à la rencontre du mystère du Dieu incarné, venu pour sauver et transfigurer le monde. Il s’agit d’un discours optimiste, imprégné d’espérance, et c’est sur cette touche d’espoir que le patriarche œcuménique conclut son livre, après avoir évoqué tant de problèmes de notre monde contemporain. Ce n’est de cette façon qu’il envisage et nous invite à comprendre le rôle et la mission du christianisme orthodoxe aujourd’hui. Pour conclure notre présentation, nous nous permettons de reprendre ici les propos de son épilogue : « Nous avons besoin de la foi pour espérer. Nous devons croire. Nous devons œuvrer ensemble pour le même but, en vivant toujours d’espérance. […] Et c’est le plus grand don que nous ayons à offrir à nos enfants : que nous croyons et espérons en un monde meilleur, un monde où il n’y a plus de guerre, où les races et les religions sont respectées à égalité, où la diversité de la nature est célébrée, où tous les hommes ont ce qui leur faut, et où le langage de la tolérance est la langue maternelle de la famille mondiale afin que le Dieu d’amour soit glorifié. C’est le monde où ‘le Royaume est venu sur la terre comme au ciel’ (Mt 6, 10) ».