Précisions sur l’indépendance de l’Archevêché survenue le 30 décembre 1965
Les 19 et 20 février 2014, Son Éminence l’Archevêque Job de Telmessos a représenté à Thessalonique Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée et le Patriarcat œcuménique au colloque théologique international en l’honneur et à la mémoire du Prof. Ioannis Phountoulis, organisé par la Faculté de Théologie de l’Université de Thessalonique. Ancien professeur de liturgie et d’homilétique à cette Faculté de Théologie de 1969 à 1996, M. Ioannis Phountoulis (1927-2007) avait participé aux Semaines d’études liturgiques de l’Institut Saint-Serge dont il fut un docteur honoris causa, et avait bien connu feu l’Archevêque Georges d’Eudociade.
En plus de lire le message patriarcal adressé pour l’occasion, l’Archevêque Job a fait la communication suivante :
Nul n’ignore que M. Ioannis Phountoulis (1927-2007) fut professeur de liturgie et d’homilétique à la Faculté de Théologie à l’Université de Thessalonique de 1969 à 1996. Gradué de la Faculté d’Athènes, il fit également des études à l’Université de Louvain et à l’Institut liturgique de Mont-César, ce qui lui donna l’occasion de se familiariser avec la science liturgique occidentale. Dans son parcours et son œuvre d’exception, sa contribution la plus significative est sans aucun doute son livre sur l’œuvre liturgique de Syméon de Thessalonique qui a permis de mieux faire connaître ce grand auteur byzantin par la découverte de documents inconnus et inédits jusqu’alors. En ce sens, le nom de I. Phoutoulis s’adjouint à celui du savant britannique D. Balfour en ce qui a trait au renouveau des études sur Syméon de Thessalonique au XXe siècle.
Phountoulis a particulièrement souligné qu’en matière d’exégèse de la liturgie, Syméon ne suivait pas aveuglement les Pères de l’Église et ne faisait pas que les répéter en faisant une compilation d’interprétations patristiques, mais manifestait une certaine originalité. Selon lui, Syméon suit une méthode systématique cherchant à décrypter sous chaque rite sacré son sens mystique et spirituel, en suivant les Pères dans leur interprétation symbolique christologique, mais en s’écartant toutefois de leurs exagérations et en estimant de manière assez originale que le Christ n’a pas simplement institué les sacrements, mais qu’il y a lui-même participé le premier.
Jusqu’alors, l’œuvre de Syméon nous était principalement connue par l’édition du moine Hiérothée Molibdos, produite à l’initiative du patriarche Dosithée de Jérusalem, et publiée à Jassy en 1683. Cette édition était composée du Dialogue en Christ, de l’Explication du Temple divin, du traité Du sacerdoce, de trois compilations sur le Credo, et d’une série de questions-réponses. Elle eut immédiatement un tel succès qu’elle devint le véritable livre de chevet du clergé orthodoxe, non seulement dans les limites de l’empire ottoman, mais aussi dans l’empire russe où elle fut traduite en russe en 1856. C’est ce texte qui sera reproduit dans le volume 155 la Patrologie grecque de J.-P. Migne en 1866, accompagné d’une traduction latine, et qui servira de base aux traductions en langues modernes au XXe siècle .
Telle se présentait l’œuvre de Syméon jusqu’à ce que I. Phountoulis fasse connaître une autre partie de son œuvre liturgique méconnue et que D. Balfour publie en 1979 et 1981 deux volumes d’autres œuvres politiquo-historiques et théologiques, jusqu’alors inédites et quasiment inconnues, faisant ainsi accroître le corpus des œuvres connues de Syméon d’une moitié. Balfour fit cette heureuse découverte en 1940 lorsqu’il tomba sur un manuscrit de la bibliothèque du village de Zagora ayant appartenu à Syméon et auquel ce dernier aurait apporté de nombreuses corrections à son texte de sa propre main, selon Balfour. Ce manuscrit devint la propriété du patriarche de Constantinople Callinique III (1757) qui le l’amena avec lui lors de sa retraite à son village natal de Zagora sur le mont Pelion. Ce manuscrit est d’autant précieux qu’il apporte de nombreuses corrections au texte du Dialogue en Christ et de l’Explication du Temple divin qui nous étaient jusque maintenant connus par l’édition de Migne. La science liturgique orthodoxe contemporaine doit dorénavant en tenir compte.
Le principal traité de Syméon, communément appelé le Dialogue en Christ, s’apparente à une sorte de manuel, sous la forme d’un dialogue entre un évêque et un clerc, qui a pour but d’instruire le clergé et qui se compose de deux parties : la première dogmatique et polémique « contre toutes les hérésies », la seconde, intitulée « Des rites sacrés », commente le déroulement des différentes célébrations liturgiques et en explique le sens. Lors de son édition, ce dialogue a été divisé en plusieurs traités, mais la forme dialogale qui s’y maintient et la numérotation continue des 373 chapitres atteste encore l’unité de l’ensemble. Il faut noter que ces titres de chapitres furent ajoutés ultérieurement au texte puisqu’on les retrouve en marge dans les manuscrits. Ils ne constituent donc pas véritablement une division du texte, mais furent sans doute insérés afin d’aider les lecteurs à retrouver les thèmes développés ou les réponses à leurs questions. Par conséquent, ils ne révèlent pas obligatoirement le développement de la pensée de Syméon. Cela explique pourquoi d’ailleurs ces « chapitres » sont de longueurs différentes, certains ne couvrant que quelques lignes, alors que d’autres plusieurs colonnes.
Syméon y demeure fidèle à la tradition ecclésiale et patristique qui n’a jamais dissocié l’enseignement théologique de la pratique liturgique, et à ses yeux, la praxis et la pistis forment un binôme complémentaire et, ainsi, les rites sont perçus comme un moyen par lequel l’Église dispense sa doctrine orthodoxe. Pour cela, il ne manque jamais de polémiquer au passage sur les pratiques divergentes des Arméniens ou des Latins, mais il ne faudrait pas voir dans cette tendance l’expression de quelque attaque mesquine. Il conviendrait mieux de replacer cette polémique dans le contexte historique de son époque, et les lire d’un point de vue syméonien d’après lequel la vie présente s’inscrit en continuité avec l’économie divine et qui rend indispensable la fidélité à la foi orthodoxe et à ses institutions patriarcale et impériale. Pour cette raison, l’orthodoxie va de pair avec l’orthopraxie, ce qui explique que l’hétérodoxie, caractérisée par la divergence des rites, est pour lui une preuve d’hérésie .
Il est vrai que, d’une part, la théologie du XXe siècle a pu souvent dévaloriser, et parfois même mépriser, ce langage symbolique des rites ou la ritualité en général . Mais d’autre part, il ne faut pas oublier que le XXe siècle fut aussi, grâce aux recherches de Paul Ricœur et de L.-M. Chauvet sur l’interprétation du symbole et sur la symbolique celui de la revalorisation de la puissance du signe qui unit intimement le signifiant et le signifié ainsi que grâce aux recherches anthropologiques de A. Van Gennep sur les rites de passage celui d’une redécouverte du langage de la ritualité . Même A. Schmemann militait également pour une redécouverte de « l’unité initiale et organique entre la liturgie et le sacrement, la liturgie par le sacrement et le sacrement par la liturgie, comme une seule réalité dynamique dans laquelle le symbole – la liturgie – est toujours accompli dans le sacrement ».
Dans l’ensemble de ses œuvres, Syméon de Thessalonique exploite abondamment le langage symbolique de la liturgie. C’est précisément ce langage symbolique de la liturgie et des mystères qui permet de les relier au mystère du Christ. Pour lui, le symbolisme ne se borne pas à signifier l’économie divine par des paroles, mais la représente visiblement à travers les rites de la liturgie dans le but de produire une profonde impression sur la totalité de l’homme, corps et âme.
La raison que donne Syméon pour l’utilisation d’un langage symbolique dans la liturgie est très simple : c’est à cause de notre état déchu. Comparant la liturgie terrestre à la liturgie céleste, il affirme que « La différence est que là, [elle s’accomplit] sans voiles et sans aucun symbole, alors qu’ici [elle s’accomplit] par des symboles parce que nous sommes revêtus d’une chair corruptible ».
De là une autre raison qui explique l’utilisation du langage symbolique dans la liturgie : les symboles permettent de signifier ce qui advient à travers la célébration des mystères et de transmettre ainsi un enseignement sur ce qui dépasse l’entendement : « Pour cela l’Église accomplit constamment ce qu’elle a reçu depuis le commencement et enseigne à travers les symboles sacrés ce qui dépasse la compréhension et même les choses qui sont accomplies de manière visible ont participé à une telle gloire qu’elles sont merveilleuses pour tous ».
Et c’est pour cela que Syméon est bien conscient des limites de l’explication qu’il peut donner aux rites. Tout comme l’homme ne peut saisir le mystère de l’incarnation de Dieu, il ne faut pas chercher à tout comprendre dans la liturgie. L’herméneutique des symboles liturgiques a ses limites. Il écrit : « Mais l’esprit de tous ne peut comprendre les rites et c’est pourquoi un grand nombre [de personnes] sont confuses et en cherchent les raisons. En fait, les rites sont au-delà de toute compréhension, et nulle intelligence non seulement des hommes mais aussi des anges ne peut expliquer ni l’incarnation de Dieu, ni la manière de communier à Dieu, ni ce que l’Église proclame et opère » .
Dès lors, en suivant Syméon de Thessalonique, l’herméneutique liturgique ne devrait pas chercher à tout comprendre, ni à tout expliquer. Les mystères de l’Église, tout comme le mystère de l’incarnation lui-même, demeurent à jamais un mystère. Et à une époque où les gens cherchent à tout comprendre et à tout maîtriser, le mérite du Professeur Ioannis Phountoulis est précisément de nous l’avoir rappelé à travers l’étude de l’œuvre de Syméon de Thessalonique.