Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

Patriarcat de Moscou

Proposition sur l’Avenir de l’Archevêché

Chers Pères, je vous communique le document ci-dessous, reflétant la préoccupation de beaucoup d’entre vous, qui m’a été adressé par un groupe de nos prêtres sensibles à l’avenir de notre Archevêché.


« Faute de vision, le peuple se laisse aller ; heureux s’il observe la loi ! » (Proverbes 29, 18)

C’est en ces termes que la Sagesse divine s’adresse à toutes les générations. Pour exister, il faut avoir une perspective et les seuls vrais guides sont ceux qui savent donner aux hommes une vision de leur destin. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de l’Église du Christ considérée comme un corps.

Et c’est précisément le charisme de l’évêque que de montrer, sans cesse et sans faille, au troupeau confié par Dieu, « la voie de la vie » et non celle de la mort. Divinement inspiré, saint Hippolyte nous le rappelle en nous transmettant les prières d’ordination de l’évêque par lesquelles celui-ci reçoit la grâce de faire paître le saint troupeau [efn_note]Tradition apostolique, 3, B. Botte (éd.), dans Liturgiewissen. Quellen, p. 7 : « Ô Père qui connais son cœur, accorde à ton serviteur ici présent, que tu as choisi pour l’épiscopat, de faire paître ton saint troupeau et d’exercer pour toi ce suprême sacerdoce, sans reproche, en te servant nuit et jour, en s’efforçant d’apaiser sans cesse ton visage et de t’offrir les dons de ta sainte Église, de garder l’esprit du sacerdoce suprême et d’avoir le pouvoir de remettre les péchés selon ton commandement… »[/efn_note] et d’offrir les saints dons pendant la célébration liturgique. L’offrande eucharistique, que nous les prêtres célébrons individuellement dans notre communauté paroissiale, est faite au nom de l’évêque. Par contre, les prêtres réunis en presbyterium (collège des prêtres), apparaissent depuis l’origine comme les conseillers de l’évêque, constituant comme le dit saint Ignace le Théophore [efn_note]IGNACE, Aux Magnésiens, 6, 1, et Aux Tralliens, 3, 1.[/efn_note] « le conseil (συνέδριον) de l’évêque et à ce titre chaque presbytre reçoit le charisme [efn_note]La prière de chirotonie des presbytres qui figure dans la Tradition apostolique de saint Hippolyte, 8 (Botte, dans SC, p. 38) comporte ces mots : « Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, jette les yeux sur ton serviteur que voici, et donne aux prêtres l’esprit de grâce et de conseil, afin qu’ils aident et dirigent leur peuple, avec un cœur pur, tout comme tu as jeté les yeux sur ton peuple élu, et comme tu as commandé à Moïse de choisir des prêtres que tu as remplis de l’Esprit que tu avais donné à ton serviteur. Et maintenant, Seigneur, accorde-nous de conserver sans fin l’Esprit de grâce en nous, et rends-nous dignes de te servir dans la foi, en te louant dans la simplicité du cœur, par ton fils le Christ Jésus, par qui te sont rendues gloire et puissance, à toi Père, Fils et Esprit saint, dans la Sainte Église, maintenant et dans les siècles des siècles. Amen. »[/efn_note] :

– (a) de gouverner le Peuple de Dieu d’un cœur pur[efn_note]« Empli de l’esprit d’enseignement pour éduquer ton peuple avec douceur » (dans la version copte de la Tradition apostolique de saint Hippolyte).[/efn_note], comme successeur dans leur tâche des prêtres de l’Ancien Testament, que Moïse avait choisis. En fait, les presbytres forment un corps de conseil destiné à connaître, ensemble avec l’évêque, les différends de toute sorte qui pourraient surgir entre des membres de l’Église [efn_note]Didascalie syriaque, 9 (Connolly, p. 60 s.)[/efn_note].

– (b) d’enseigner et d’admonester le peuple. En ce qui concerne la fonction d’enseignement des presbytres, nombreux sont les témoignages selon lesquels les presbytres s’identifiaient aux « didascales » [efn_note]Cf. : Mgr Jean Zizioulas, L’Eucharistie, l’Évêque et l’Église, p.234 s. [/efn_note].

C’est pour cette raison, que nous, les prêtres de notre Archevêché, conscients de notre responsabilité presbytérale, nous nous adressons à vous comme notre archi-pasteur pour partager avec vous notre vision concernant notre avenir commun.

L’assemblée générale extraordinaire de l’Union directrice des associations cultuelles a été un moment où la quasi-unanimité de notre archevêché s’est prononcée pour la sauvegarde de l’intégrité et l’unité de notre structure ecclésiale. Cette décision de nature juridique et en conformité avec la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 nous oblige à prendre aussi une décision d’ordre canonique et juridictionnel. En effet, cette même loi, dans l’article 4 dit que les associations cultuelles nouvellement formées doivent fonctionner en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice. Autrement dit, leur existence et leur fonctionnement doit se faire en conformité avec les règles canoniques de l’orthodoxie.

Il est donc important de savoir si du point de vue des canons (règles d’organisation générale de notre culte), notre Archevêché, en refusant la décision de l’autorité canonique du Patriarcat de Constantinople de la suppression de celui-ci a agi en conformité ou non avec les règles canoniques.

Un bref rappel historique est nécessaire pour comprendre notre situation actuelle.

Notre Archevêché est le successeur et le continuateur direct de l’« Administration provisoire des paroisses russes en Europe occidentale » fondée par le saint patriarche Tikhon de Moscou et confiée à l’archevêque Euloge (décrets du 8 avril 1921, n° 423 & 424) avec l’accord du saint métropolite Benjamin de Petrograd qui jusqu’alors exerçait la juridiction sur les institutions religieuses de l’Église orthodoxe russe en Europe occidentale (lettre datée du 21 juin 1921). Sur la proposition du saint patriarche Tikhon, le Saint-Synode du Patriarcat de Moscou avec le décret du 30 janvier 1922 a élevé Mgr Euloge au rang de métropolite. Mgr Euloge, après avoir transféré le centre de son diocèse à Paris en 1922, a créé l’administration diocésaine conformément au décret patriarcal n° 348 de 5 mai 1922, qui sera enregistrée le 26 février 1924 à la Préfecture de Paris comme Union directrice des associations orthodoxes russes. Le 1er juin 1923 le métropolite Euloge, a présenté à l’assemblée épiscopale de l’Église orthodoxe russe hors-frontières à Sremski Karlovci en Serbie le projet d’organisation proposant la création des quatre districts métropolitains [efn_note]Le district métropolitain est une structure ecclésiale qui n’existe qu’au sein de l’Église orthodoxe russe. Le Patriarcat de Constantinople ne connaît pas cette structure ecclésiale. La question de la création des districts métropolitains a été discutée au Concile de Moscou 1917-18. Il ne faut pas confondre les districts métropolitains et les métropoles. La différence est au niveau de l’organe de direction : le district métropolitain dispose d’une plus grande autonomie et à ce titre est dirigé par un synode composé des évêques ordinaires et vicaires et présidé par un métropolite, par contre la métropole est dirigée par le conseil des évêques qui coordonne les activités des diocèses qui composent la métropole. En 2011, le Patriarcat de Moscou a rajouté les districts métropolitains dans les Statuts de l’Église orthodoxe russe (Cf. : https://ru.wikipedia.org/wiki/%D0%9C%D0%B8%D1%82%D1%80%D0%BE%D0%BF%D0%BE%D0%BB%D0%B8%D1%87%D0%B8%D0%B9_%D0%BE%D0%BA%D1%80%D1%83%D0%B3) [/efn_note] (d’Europe occidentale, d’Europe orientale, d’Extrême-Orient et d’Amérique du Nord[efn_note]Cf. : http://www.pravenc.ru/text/187191.html [/efn_note]). L’Église orthodoxe russe hors-frontières n’a consenti de créer que le district métropolitain d’Europe occidentale[efn_note]Cf. : Каноническое положение Православной Русской Церкви заграницей, 1927 г., Париж, p. 15-17. Michel d’Herbigny S.J. et Alexandre Deubner, Évêques russes en exil, douze ans d’épreuves (1918-1930) ; Orientalia Christiana, vol. XXI, n° 67, Rome, 1931, p. 67 et p. 69.[/efn_note] en lui confiant sa direction[efn_note]Idem, p. 79 : « Le diocèse de l’Europe occidentale, vu les droits que le métropolite Euloge a reçus du patriarche Tikhon par les décrets 412 du 8 avril 1921, 64 du 30 janvier 1922 et 348 du 5 mai 1922, et vu aussi le fait qu’il embrasse les territoires de plusieurs états, est élevés au rang d’un district métropolitain autonome. La circonscription est administrée par son ordinaire, le métropolite, qui pour gouverner, se sert de deux organes administratifs : l’assemblée diocésaine et le conseil diocésain ».[/efn_note].

Donc, c’est l’Église orthodoxe russe qui a créé notre structure ecclésiale et comme telle elle a reçu le statut d’exarchat provisoire du Patriarcat œcuménique en 1931, 1971 et en 1999. Toutefois, il convient de souligner que ce statut d’exarchat qui nous reliait à une Église locale exprimait et garantissait notre appartenance à la communion orthodoxe et à l’ordre canonique de l’Église orthodoxe sans quoi nous deviendrions selon saint Basile une para synagogue [efn_note]Pour saint Basile de Césarée il y a trois manières de se séparer de l’Église : par l’hérésie, par le schisme ou en constituant des parasynagogues (conventicules) : « Pour les hérétiques, il s’agit de ceux qui se sont complètement séparés et sont devenus comme des étrangers ; les schismes concernent ceux qui se sont séparés des autres pour des raisons de vie ecclésiale ou pour des causes que l’on pourrait éventuellement régler ; les parasynagogues sont des partis regroupant des gens sans instruction autour de presbytres ou d’évêques insoumis ». Le canon 5 du concile de Nicée parle d’atteintes à l’unité de l’Église causées par un clergé indiscipliné. Selon le canon, le résultat final pour le clergé indiscipliné est ακοινώνητος γίνομαι, « devenir excommunié ».[/efn_note].

Par conséquent, nous considérons que si le Patriarcat de Constantinople peut en effet révoquer le statut d’exarchat comme il est indiqué dans l’acte synodal du 27 novembre 2018, il ne lui appartient pas de supprimer une structure que le Patriarcat n’a pas créée.

C’est pourquoi, une fois le tomos révoqué, notre Archevêché doit être rattaché à une Église locale.

Le 23 février, les membres du Conseil d’administration de notre Union directrice des associations cultuelles nous ont rappelé quels sont les principes qui caractérisent notre identité ecclésiale :
– Respect de notre indépendance administrative et de nos statuts, garantis par les législations des pays où se trouve notre Archevêché.
– Respect de nos pratiques liturgiques et linguistiques.
– Possibilité d’élire nos hiérarques par les assemblées clérico-laïques de l’archevêché selon les principes du Concile de Moscou 1917-1918.
– Obtention du statut d’un district métropolitain doté d’un conseil d’évêques ainsi que le titre de métropolite pour notre primat
– La possibilité pour nos hiérarques de participer aux travaux des conciles et des assemblées d’évêques de l’Église qui nous propose sa protection canonique.

Nous notons qu’à l’heure actuelle, seule l’Église orthodoxe de Russie est susceptible de donner une réponse qui permettrait d’élaborer une solution correspondante aux exigences de nos principes de fonctionnement ecclésiastique.

Une fois la protection canonique obtenue, il conviendra de corriger certaines altérations de l’esprit des décisions du Concile de Moscou et de la tradition canonique de l’Église orthodoxe introduites dans les statuts en 1999 concernant notamment le mode d’élection des évêques.

Pour cette raison, Monseigneur, nous tous qui adhérons à cette vision, vous demandons de convoquer une assemblée pastorale dans les meilleurs délais pour que nous puissions nous prononcer sur l’avenir canonique de notre Archevêché.