Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

Patriarcat de Moscou

Rapport Moral de Monseigneur Gabriel

Christ est ressuscité !


Monseigneur,

Révérends Pères,

Révérendes Mères,

Chers frères et sœurs en Christ,

C’est dans la joie pascale que le Seigneur nous permet de nous rencontrer ces jours-ci. Conformément à nos statuts, il m’incombe en ma qualité d’Archevêque diocésain de vous présenter un rapport d’activité retraçant la vie et la situation de l’Archevêché durant la période de trois années qui s’est écoulée depuis la dernière Assemblée Générale ordinaire, en 2001. L’événement marquant a, bien entendu, été la disparition tragique et brutale de notre regretté Archevêque, Mgr Serge de bienheureuse mémoire, le 22 janvier 2003. J’ai eu l’occasion lors de notre Assemblée Générale extraordinaire du 1er mai 2003 de retracer l’œuvre de Vladyka Serge à la tête de notre Archevêché, de rappeler son souci pastoral pour le troupeau que le Seigneur lui avait confié, de dire aussi combien je lui étais personnellement redevable. Je ne reviendrai donc pas ici sur la personnalité et l’œuvre de Vladyka Serge – il reste dans notre mémoire et dans notre prière – « mémoire éternelle ».

Je ne reviendrai pas non plus, dans ce rapport, sur la période 2001-2003, où je n’étais pas responsable de l’Archevêché. Vous avez notamment entendu hier la présentation de l’exercice budgétaire pour cette période. Je tiens à remercier les membres de l’Administration diocésaine pour leur travail, un travail plein d’abnégation, souvent ingrat, et qui leur a coûté beaucoup de temps, d’abnégation, de santé. L’une des grandes préoccupations qu’avait Vladyka Serge, dans les derniers mois de sa vie, était précisément la poursuite de ce travail de l’Administration diocésaine, sa pérennité, et le problème de la relève qui tôt ou tard doit se poser. Il faut y réfléchir… Je vous ferai part de mes considérations sur ce point dans un instant.

En ce qui concerne l’année 2003-2004, le bilan est le suivant. Un prêtre nous a quitté: le père higoumène André (Wade), parti en Italie. Par ailleurs, j’ai procédé à l’ordination de six prêtres : le père Job (Getcha) – pour l’Institut de théologie et la paroisse Saint-Serge ; le père Luc Gabriëls, pour Breda (Pays-bas) ; le père Paul Sebelov, pour Oslo et Copenhague ; le père André Drobot, pour le skite de Mourmelon ; le père Jaroslav Jozwik, pour Nice ; le père Jacques Legrand, à Paris ; et de trois diacres : le père hiérodiacre Séraphin, à Oslo, le père André Svynarov, à Paris, le père Daniel Cabagnols, à Paris également, paroisse de la Présentation-de-la-Mère-de-Dieu-au-Temple. Nous avons admis quatre clercs venant de l’extérieur : le père Igor Koretsky, venu de Russie, à Belfort ; le père Marcel Sarkis, venant du diocèse du Mont-Liban, à Antibes ; le père Johannes Kassberger, venant de l’Eglise russe hors-frontières, à Stuttgart ; et le père André Jacquemot, à Metz-Strasbourg. D’autres candidatures sont en train de mûrir en Belgique, en Suède, en Italie, pour l’Espagne, et, je l’espère aussi, en France.

Nous avons ouvert, durant cette année, plusieurs nouvelles paroisses : à Stuttgart, où la municipalité a mis à notre disposition une ancienne église catholique, c’est une paroisse de langue allemande ; à Strasbourg, une paroisse de langue française ; à Saragosse, une paroisse destinée à des immigrés russes et ukrainiens récents… En septembre 2003, j’ai procédé à la consécration de la nouvelle église d’Oslo. Le 14 octobre, fête de la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, j’ai présidé la cérémonie de dédicace de l’église de la Transfiguration, au monastère de Bussy-en-Othe, entouré de nombreux évêques et prêtres appartenant à différentes Eglises orthodoxes.

Aujourd’hui, l’Archevêché compte une soixantaine de paroisses et communautés, desservies par 76 prêtres et 14 diacres. À ceux qui disent ou écrivent, sur Internet ou ailleurs, que nous n’avons plus de prêtres, que notre Archevêché est insignifiant ou en voie d’extinction, je veux dire ici très sérieusement et avec toute la responsabilité qui est la mienne que ces propos ne correspondent pas à la réalité, mais suscitent une atmosphère de découragement, de peur de l’avenir, et dans une certaine mesure participent – volontairement ou non, consciemment ou non – à une œuvre de déstabilisation de notre diocèse, que le Seigneur ne saurait agréer. « N’aie pas peur, petit troupeau », a dit le Christ à ses disciples. Faisons nôtres ces paroles de notre Seigneur. Soyons, là où nous sommes, ce que nous sommes appelés à être, en toute modestie et en toute humilité, mais avec la fermeté et la force que donne l’Esprit Saint, lorsque c’est la volonté de Dieu, et non notre volonté propre, que nous cherchons à faire.

Il se trouve que notre archevêché est le diocèse orthodoxe le plus ancien en Europe occidentale et, à travers toute son histoire et grâce, sans doute, à la tradition ecclésiale russe qui est à son origine, il a toujours œuvré, en communion avec tous les autres diocèses orthodoxes de nos pays, à l’émergence d’une orthodoxie locale unifiée. Nos moyens humains et matériels sont peut-être limités ; nous nous sentons souvent faibles, mais c’est « dans la faiblesse que se déploie la puissance de Dieu » (2 Co 12,9).

Au cours de ces douze mois, j’ai rendu visite à un très grand nombre de paroisses ou communautés, notamment aux paroisses Saint-Serge, Saint-Séraphin, Notre-Dame-du-Signe, Présentation-de-la-Mère-de-Dieu-au-Temple, crypte de la Sainte-Trinité, à Paris ; à celles d’Asnières, de Sainte-Geneviève-des-Bois, Châtenay-Malabry, Eaubonne, Nice, Saint-Raphaël, Antibes, Marseille, Toulouse, Biarritz, Belfort, Saint-Louis, Vichy, Rennes, Colombelles, ainsi qu’à Bruxelles, Liège, Saint-Hubert, Breda, Florence, dont nous avons fêté le centenaire de l’église en novembre dernier, Düsseldorf, Oslo, Stockholm, Barcelone, et j’en oublie encore probablement… Bien entendu, j’ai présidé les célébrations liturgiques de la plupart des grandes fêtes et de nombreux dimanches en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky. Bien que je n’en sois pas le recteur, je suis très proche de la cathédrale, de son clergé et de ses paroissiens. C’est là le centre de la vie pastorale et ecclésiale de notre Archevêché, c’est là qu’est notre « cathèdre » épiscopale et il me semble très important, comme aimait à le rappeler mon prédécesseur, l’archevêque Georges d’Eudociade de bienheureuse mémoire, que chacun ait bien conscience de ce lien, je dirais, historique et liturgique, entre notre cathédrale et l’ensemble de l’archevêché.

De la même manière, je veux aussi insister sur les liens particuliers qui existent et qui doivent être renforcés entre l’Archevêché, ses paroisses, leurs membres, clercs et laïcs, et, d’une part, l’Institut de théologie Saint-Serge, et, d’autre part, le monastère Notre-Dame-de-Toute-Protection, à Bussy-en-Othe. Il s’agit là de deux poumons, indispensables à la vie de notre Archevêché. Sans une école de formation théologique digne de ce nom, où les futurs prêtres, théologiens et catéchètes et tout laïc désireux de le faire peut approfondir et structurer sa foi, sans ce lieu où est appelée à se développer la recherche théologique dans la fidélité à la Tradition, toujours créatrice quand elle est ouverte au souffle de l’Esprit Saint, notre diocèse ne peut répondre aux interrogations de l’homme d’aujourd’hui, ni témoigner de l’orthodoxie dans ce monde. De même que, sans monastère, notre diocèse serait privé de la possibilité de se ressourcer à la fontaine d’eau vive d’une spiritualité orthodoxe authentique, telle qu’elle s’exprime dans la vie monastique.

C’est pourquoi, à titre personnel, j’ai tenu à établir des relations étroites avec l’Institut Saint-Serge, ses professeurs, ses étudiants. J’ai renoué avec la pratique du métropolite Euloge de bienheureuse mémoire, consistant à célébrer dans l’église de l’Institut Saint-Serge le lendemain des grandes fêtes, Pâques, Noël, Théophanie. J’ai aussi décidé de consacrer une après-midi par semaine, généralement le mardi, à des rencontres sur place avec les professeurs et les étudiants, en plus de ma présence aux conseils des professeurs, en ma qualité de recteur de l’Institut. Il s’agit là d’une expérience très enrichissante pour moi et à laquelle j’accorde une très grande importance.

Pour ce qui est du monastère de Bussy, j’ai suivi avec attention les derniers travaux de la nouvelle église, commencés avec la bénédiction de Vladyka Serge, il y a quelques années. J’y ai présidé la cérémonie de construction de l’autel, puis la célébration de la dédicace de l’église, ainsi que plusieurs prises d’habits monastiques. La construction de la nouvelle église est véritablement une bénédiction et un miracle. Chaque séjour à Bussy est également pour moi, comme sûrement pour beaucoup d’entre vous, une bénédiction et une source de grande joie spirituelle.

En ce qui concerne mes déplacements officiels à l’extérieur, je me suis rendu en visite au siège du Patriarcat de Constantinople, au Phanar, en septembre dernier. Je dois dire que j’y ai été accueilli par Sa Sainteté le Patriarche Œcuménique de manière extrêmement chaleureuse et vraiment paternelle. Dans une semaine, je me rendrai à nouveau auprès du Patriarche œcuménique, qui m’a invité à participer aux célébrations de la Saint-Jean-le-Théologien, près de l’antique site d’Ephèse. J’ai également rendu visite à deux reprises à l’Eglise orthodoxe de Pologne, au mois d’août et au mois de décembre 2003, et à l’Eglise orthodoxe de Géorgie, au mois de septembre dernier, à Tbilissi, où j’accompagnais Sa Sainteté le Patriarche Bartholomée Ier et où j’ai rencontré Sa Béatitude le Patriarche Elie II. Partout l’accueil a été chaleureux, et partout il m’a été donné de constater que notre Archevêché est connu, d’une manière générale, et reconnu, sur le plan canonique.

La joie de nous retrouver ici en cette période pascale est encore rehaussée par l’immense joie que nous avons tous éprouvé, je l’espère, à l’annonce de la canonisation du saint prêtre Alexis Medvedkov, du saint prêtre et martyr Dimitri Klépinine, de la sainte moniale et martyre Marie, et de ses compagnons Georges (Youri) Skobtsov et Elie Fondaminsky. Nous allons participer à la proclamation de la canonisation de ces nouveaux saints, ce soir, au cours de la Vigile et, demain, à la Divine Liturgie. Il faut ici rappeler que c’est à l’Archevêque Serge de bienheureuse mémoire que revient le mérite d’avoir pris l’initiative de demander leur canonisation, du moins pour les quatre saints martyrs. Il avait introduit cette requête lors de l’un de ses voyages au Patriarcat de Constantinople, en 1996 ou 1997. Après mon élection, j’ai écrit à Sa Sainteté le Patriarche Bartholomée Ier pour relancer le dossier, en lui demandant soit de procéder lui-même à leur canonisation au niveau du Patriarcat Œcuménique, soit de nous autoriser à inscrire leurs noms comme des saints locaux. Quelle n’a pas été ma surprise et ma joie quand, en janvier dernier, Sa Sainteté m’a averti que le Saint-Synode avait décidé leur canonisation et que cet acte était transmis non seulement à notre Archevêché, mais aussi à tous les diocèses du Patriarcat de Constantinople en Europe occidentale, ce que j’interprète comme un signe d’attention et d’amour paternel de la part du Patriarcat à notre égard. J’ai eu l’occasion de m’adresser à vous, clercs et responsables laïcs, ainsi qu’à l’ensemble du peuple de Dieu, pour vous annoncer cette nouvelle, en expliquer la signification spirituelle pour nous tous, et en indiquer les implications liturgiques, notamment la célébration de leurs mémoires suivant l’usage de notre Sainte Mère l’Eglise, dans toutes nos paroisses et communautés, les jours fixés dans le calendrier ecclésial.

Aujourd’hui, c’est aussi le premier anniversaire de mon élection comme archevêque. Il faut dire que cette élection, ou plutôt le temps qui l’a précédée, a suscité des tensions, des accusations et des calomnies que je n’entends pas évoquer à nouveau ici, mais l’ensemble de l’Archevêché a été fort blessé par tout cela. Au cours des douze mois qui se sont écoulés depuis mon élection et mon intronisation, nous avons encore dû passer des moments difficiles. J’ai appris à lire sur les visages de certains les signes de l’amertume, de la méfiance, de la colère parfois, mais j’ai aussi appris, malheureusement, à discerner chez quelques-uns le goût du pouvoir, de l’ambition et de la jalousie. Grâce à Dieu, j’ai rencontré aussi – et à tous les niveaux – une bonne volonté immense, un accueil généreux, une collaboration efficace, le don de soi et l’abnégation au service de l’“Unique nécessaire”. En 1984, le défunt archevêque Georges d’Eudociade nous accueillait ici même, lors d’une Assemblée diocésaine, en disant : « Je voudrais vous exprimer ma joie que nous tous soyons réunis aujourd’hui en famille ». C’est précisément cela que je ressens aujourd’hui. Notre famille est passée par des épreuves pénibles : la tunique de l’Eglise, une et indivise, a été tiraillée. Il nous faut tous regarder au fond de notre cœur, nous engager dans la voie du repentir et du pardon. Moi-même j’ai déjà eu l’occasion de le faire et je le redis ici, si j’ai blessé ou offensé quelqu’un, je lui demande pardon.

Par votre volonté et celle du Seigneur, je suis votre archevêque, et de ce fait je me sens responsable de l’ensemble de l’Eglise, de vous tous, comme de mes enfants, de mes frères et sœurs que Dieu m’a confiés, de même que vous tous, vous êtes responsables de moi – par votre collaboration et votre prière, celle que nous disons à chaque Divine Liturgie, afin que le Seigneur me donne de « dispenser fidèlement la parole de [sa] vérité ». En ce qui me concerne, le but même de mon existence consiste à vous servir, à vous aider, à vous soutenir et à vous aimer comme mes frères et sœurs en Christ. Je me rappelle les paroles d’un des premiers Pères de l’Eglise : « Qui est appelé à l’épiscopat n’est pas appelé au pouvoir d’un prince, mais au service de toute l’Eglise ». Je dois donc garder et défendre l’unité de l’Eglise, car le jour viendra où je serai obligé de répondre à la question : « Qu’est-ce que tu as fait avec tous ces enfants que je t’ai donnés ? » L’épiscopat est un service. Selon l’image du Christ Sauveur, l’évêque doit s’efforcer d’être le serviteur de tous. Le service épiscopal est un service pour l’unité de tout le troupeau. Inspiré et poussé par ce souci de garder l’unité, j’ai rendu visite aux paroisses – et je continuerai à le faire – pour entendre, sentir et apprendre comment nos fidèles envisagent la vie ecclésiale et ce qu’ils pensent à propos de l’avenir. Bien sûr, le futur est dans les mains du Seigneur, mais il a confié cette responsabilité aux apôtres en disant à Pierre : « Pais mes brebis ». J’ai cette responsabilité, qui implique d’avoir la vision de l’ensemble du troupeau qui m’est confié. Telle est la signification de l’aigle sur l’« orlets », le petit tapis, que dans la tradition russe, on pose sous les pieds de l’évêque pendant les célébrations liturgiques.

Concernant nos relations avec le patriarcat de Moscou, j’ai déjà eu l’occasion de le dire et je le redis, personnellement, j’ai de bons rapports avec le représentant du patriarcat de Moscou en France, Son Eminence l’Archevêque Innocent, de même qu’avec le responsable du diocèse du Patriarcat de Moscou en Belgique, Son Eminence l’Archevêque Simon. Nous avons eu l’occasion de concélébrer ensemble à différentes reprises durant l’année écoulée. L’unité eucharistique pleine et entière, restaurée il y a maintenant près de dix ans, existe toujours entre nous, grâce à Dieu. Nous en aurons demain encore, je l’espère, un témoignage, avec la présence parmi nous de Son Excellence l’évêque Basile, qui est en charge actuellement du diocèse de Souroge, en Grande-Bretagne.

Nous devons cependant déplorer plusieurs accrocs et contrariétés. Deux paroisses nous ont quittés. D’une part, l’église de Clamart, située dans une propriété familiale, dont les responsables ont souhaité rejoindre la juridiction directe du Patriarche de Moscou, ce dont ils m’ont informé préalablement, ce qui était la moindre des corrections. L’autre paroisse qui nous a quittés, ou plutôt nous a été prise, c’est celle de Charleroi, en Belgique. Il s’agit là d’une bien triste leçon pour nous tous. Vous savez que nous pratiquons couramment, entre les différents diocèses – et notamment avec ceux des patriarcats d’Antioche, de Moscou et de Roumanie – une entraide sacerdotale, en confiant, en cas de besoin et à titre temporaire, la responsabilité pastorale d’une paroisse à un clerc d’un autre diocèse. C’est ainsi que l’Archevêque Serge avait été amené à confier la paroisse de Charleroi à un prêtre du Patriarcat de Moscou. Dans ce contexte, depuis de nombreuses années, nous n’avions pas fait suffisamment attention à la situation légale de cette paroisse, nous n’avons pas veillé au bon renouvellement de ses institutions statutaires, enregistrées devant les autorités civiles. De sorte que statutairement, il ne restait plus dans le conseil paroissial qu’une seule personne qui, de sa propre autorité, a décidé de se tourner vers le Patriarcat de Moscou, emportant pour ainsi dire la paroisse avec elle, avec l’appui, malheureusement, du prêtre qui en avait la charge, et sans aucune concertation avec notre diocèse. Pour caractériser une telle attitude, il n’est pas besoin ici de longs discours sur l’ecclésiologie, la conciliarité, le droit canonique, la nature de l’autorité épiscopale, autant de thèmes dont nous, orthodoxes, parlons souvent, mais que nous avons parfois du mal à appliquer dans notre vie.

Pour éviter à l’avenir des accrocs de ce genre, il a été convenu avec Son Eminence l’Archevêque Innocent de Chersonèse de la constitution d’une commission mixte, désignée par nous deux, et qui sera chargée d’examiner les problèmes qui peuvent parfois se poser dans les relations entre nos deux entités ecclésiales. J’ai désigné comme membres de cette commission au titre de l’Archevêché, le Père Higoumène Job, le Père Serge Sollogoub et le professeur Joost van Rossum, de l’Institut Saint-Serge. J’ai espoir que, par ce moyen, nous pourrons arriver à une meilleure compréhension mutuelle et à un meilleur témoignage commun de l’orthodoxie.

A propos de la lettre de Sa Sainteté le Patriarche Alexis II de Moscou, datée du 1er avril 2003, et comportant, comme on sait, un projet d’organisation d’une nouvelle structure de l’Eglise de Russie pour l’Europe occidentale, qui regrouperait l’ensemble des entités ecclésiales de « tradition russe » et qui devrait être l’embryon d’une Eglise locale en Europe occidentale, je voudrais évoquer les points suivants. J’ai adressé une lettre personnelle à Sa Sainteté le Patriarche de Moscou Alexis II, dans laquelle je l’informais de mon élection à la tête de l’archevêché et lui faisais part de mon vœu le plus cher, à savoir que « la communion entre nous, Votre Sainteté, et entre l’Eglise de Russie, d’une part, et l’Eglise orthodoxe locale naissant en France et en Europe occidentale, d’autre part, demeure inaltérable ». Je ne pouvais pas non plus cacher à Sa Sainteté le trouble qu’avait provoqué sa lettre du 1er avril tant par sa forme que par son contenu. Tout en disant mon regret pour tout le contexte dans lequel nous était parvenue cette lettre, j’exprimais l’espoir qu’une réponse consensuelle pourrait lui être apportée, car, disais-je dans ma lettre, « quelle que soit la solution retenue, elle ne doit pas se faire aux dépens de l’unité et se solder par une quelconque scission ». Ma lettre au Patriarche Alexis II était datée du 11 mai 2003. A ce jour, je n’ai reçu aucune réponse.

Entre temps, je me suis entretenu de ce sujet avec Sa Sainteté le Patriarche Œcuménique Bartholomée Ier, lors de ma visite au siège du Patriarcat, en septembre 2003. Sa Sainteté m’a fait part de la correspondance qu’il avait échangée à ce propos avec le Patriarche de Moscou et dans laquelle les primats des deux Eglises réaffirment leurs points de vue respectifs sur l’organisation future de la « diaspora ». Il m’a aussi informé du contenu des entretiens qui ont eu lieu entre responsables des Eglises de Constantinople et de Moscou, concernant la lettre du 1er avril et la situation de notre Archevêché. J’ai également pris des contacts avec les autres évêques des entités ecclésiales concernées au premier chef par la proposition du patriarche de Moscou, notamment avec Son Excellence l’évêque Ambroise (diocèse de l’Eglise russe hors-frontières) et avec Son Eminence le métropolite Antoine de Souroge de bienheureuse mémoire. Je ne faisais ainsi qu’aller dans le sens de la première des propositions contenues dans la lettre du Patriarche Alexis II: que les évêques responsables des différentes juridictions de tradition russe en Europe occidentale se rencontrent et discutent entre eux des modalités pouvant favoriser l’unité. L’évêque Ambroise s’est montré très réservé face à l’initiative du Patriarcat de Moscou; quant au métropolite Antoine, avec qui j’ai parlé par téléphone et à qui j’ai rendu visite à Londres, au mois de juin, quelques semaines avant que le Seigneur ne le rappelle, il a tenu à me mettre en garde contre toute démarche qui s’avérerait précipitée ou qui pourrait aboutir à briser l’unité de l’Eglise. Tout en insistant sur l’impérieuse nécessité de rétablir avant tout la confiance et la charité, préalable à tout rapprochement, il m’a dit et écrit que rien ne devait être fait sous la contrainte – il faut prendre tout le temps nécessaire et respecter le don de la liberté que nous avons reçu de Dieu, insistait-il. On sait par ailleurs que le métropolite Antoine avait aussi écrit au Patriarche Alexis II pour décliner toute responsabilité à la tête de la région métropolitaine envisagée.

Pour ma part, j’ai engagé la concertation que j’avais annoncée après mon élection. Il m’est en effet apparu naturel, en ma qualité d’Archevêque, c’est-à-dire de pasteur de l’ensemble du diocèse, de consulter largement les membres de l’Archevêché, non seulement à Paris, mais aussi en province et à l’étranger: j’ai écouté les prêtres, les responsables laïcs, les fidèles. J’ai aussi ouvert largement ma porte à tous ceux qui voulaient me parler de cette question: en définitive, ils ne furent pas nombreux. J’ai pu constater que la question ne se posait pas de la même façon à Paris et en province, en France et dans les autres pays. Il faut en tenir compte: notre Archevêché est à la fois multinational et pluriethnique. Ce qui pour les uns pose problème, pour les autres n’en est pas un; permettez-moi de le souligner avec vigueur, car telle est bien la spécificité riche et complexe de notre Archevêché.

Néanmoins, il faut le dire, des tensions subsistent, lors même que la disparition du Métropolite Antoine de Souroge a de facto rendu caduc le projet tel que proposé par le patriarche Alexis II, projet qui, au demeurant, a été élaboré dans ses grandes lignes, ici même, semble-t-il, à Paris. Croyez-moi, mes frères et sœurs, je n’ai aucune amertume à l’égard de quiconque. Je suis convaincu que nous sommes tous animés par le désir profond d’œuvrer à l’unité de l’Orthodoxie sur cette terre. Mais la question qui nous préoccupe et nous interpelle est simple : « Comment, et sur quels critères, structurer ici une Eglise orthodoxe localement unifiée » ?

Je ne dis pas, comment créer l’Église locale, car elle existe déjà. Elle existe depuis que la première Divine Liturgie a été célébrée avec la bénédiction d’un évêque et sur un antimension délivré par lui. Peu importe si cet évêque ou le prêtre était russe, ukrainien ou grec. Peu importe si, aujourd’hui, on célèbre en slavon, en grec, en arabe, en roumain, ou dans la langue du pays. Dans tous nos pays se développe peu à peu la collaboration et, bien sûr, la concélébration entre tous les orthodoxes établis dans un même lieu, c’est-à-dire que grandit le sens d’une Orthodoxie locale, dont le seul et unique critère est la confession commune de la foi orthodoxe. En France, par exemple, vous le savez, nous avons une longue expérience de collaboration et de concertation entre les diocèses orthodoxes, qui se manifeste, depuis 1967, d’abord par un Comité inter-épiscopal orthodoxe, puis aujourd’hui, à partir de 1997, par l’Assemblée des évêques orthodoxes de France. Cette assemblée réunit tous les évêques orthodoxes de ce pays et, devenant de plus en plus une instance réelle de concertation et de coordination, elle constitue maintenant, pour les problèmes communs, le porte-parole de l’Eglise orthodoxe en France. Mais cette Assemblée n’a pour le moment aucun statut canonique. Ce qui manque donc, c’est une organisation canonique unifiée, car, dans la « diaspora », chaque Eglise autocéphale a construit ses propres structures diocésaines, hors de son territoire canonique, pour répondre aux besoins de ses propres communautés culturelles, linguistiques, ethniques. Voilà donc le problème.

La lettre du Patriarche de Moscou a mis en relief, une fois de plus, cette réalité, dans tout ce qu’elle peut avoir de non conforme aux principes mêmes de l’ecclésiologie orthodoxe. En cela, cette lettre fait date. Il est important qu’un primat d’une grande Eglise orthodoxe s’exprime ainsi sur le problème de l’organisation canonique de la « diaspora », et nous lui en sommes reconnaissants. Toutefois, sa lettre ne parle pas de la formation d’une véritable Eglise une, mais de l’intégration de notre Archevêché dans le cadre d’une métropole qui regrouperait en son sein, je cite, toutes « les communautés d’origine et de tradition russe », métropole qui « servira au moment choisi par Dieu, de creuset à l’organisation de la future Eglise orthodoxe locale multiethnique en Europe occidentale ».

Nous pouvons, bien sûr, rêver pour cette métropole d’un statut de large autonomie, ce dont disposent actuellement les Eglises d’Ukraine et de Biélorussie, ou encore – de manière moins utopique – d’un statut de moindre autonomie, comme celui des métropoles de Moldavie et de Lettonie ou celui de la métropole russe d’Estonie – ce qui n’est déjà plus tout à fait la même chose -, mais cependant tout cela, d’une manière ou d’une autre, se situerait dans le cadre d’une Eglise nationale, l’Eglise de Russie, et en dehors de son territoire canonique. Or notre réalité ecclésiale ici, en Europe occidentale, n’est plus une réalité nationale, c’est devenu, par la force des choses, une réalité territoriale, ce qui correspond d’ailleurs pleinement, disons-le encore une fois, à la théologie orthodoxe de l’Eglise.

À propos des contacts engagés récemment entre le Patriarche de Moscou et l’Eglise russe hors-frontières, j’ai entendu certains de nos fidèles exprimer leur regret et leur inquiétude du fait que notre Archevêché n’ait pas pris part à ces négociations. Une telle appréciation relève, me semble-t-il, d’une perception erronée du problème. La situation de l’Eglise hors-frontières est très différente de la nôtre. En effet, actuellement, cette Eglise se trouve isolée de l’ensemble des Eglises orthodoxes autocéphales. Elle n’est en communion avec aucune d’entre elles. Il n’y a donc pas de communion eucharistique entre l’Eglise hors-frontières et le Patriarcat de Moscou. Des négociations entre eux impliquent donc de résoudre tout d’abord ce problème : rétablir la communion eucharistique avec l’Eglise russe et par celle-ci avec toutes les autres Eglises orthodoxes.

Pour ce qui nous concerne, nous avons déjà la pleine et entière unité eucharistique avec le Patriarcat de Moscou, grâce à Dieu, et nous sommes en communion avec l’ensemble des Eglises orthodoxes, par le biais de notre rattachement canonique au Patriarcat œcuménique. Nous ne pouvons que souhaiter et espérer que l’Eglise hors-frontières parvienne à réintégrer la plénitude de la communion orthodoxe. Cela dit, il est encore difficile de dire quand et comment cela se fera et si cela débouchera, pour elle, sur une réunification avec le Patriarcat de Moscou. Dès à présent, des responsables de l’Eglise hors-frontières,à commencer par l’ArchevêqueMarc de Berlin, déclarent qu’il n’est pas question pour eux de « retour à Moscou », de « soumission », de « fusion », « de réintégration ». Ils affirment que le Patriarcat de Moscou n’est qu’une partie de l’Église russe et soulignent que l’instauration de la communion eucharistique n’implique pas une unité administrative. Comme vous le voyez,la question est plus complexe que l’on ne le dit généralement, et sa résolution sera probablement plus longue que l’on ne pouvait le penser.

Nous pouvons aussi rêver de voir cette « métropole », telle qu’elle nous a été proposée par le Patriarcat de Moscou – uniquement destinée aux orthodoxes russes, d’origine russe et de tradition russe -, rassembler ultérieurement l’ensemble des orthodoxes d’Europe occidentale, quelles que soient leurs appartenances nationales, ethniques ou linguistiques. Cependant, à ce propos, la situation ecclésiale en Amérique du Nord mérite attention. La création d’une Eglise autocéphale isolée, fut-elle initiée et soutenue par une Eglise nationale importante, ne saurait attirer vers elle les autres diocèses orthodoxes, surtout si ceux-ci sont également pour la plupart de profil national. Au demeurant, certains responsables du Patriarcat de Moscou affirment depuis un certain temps, en ce qui concerne la fondation de l’Eglise autocéphale en Amérique (OCA) qu’ils ne « referaient plus une telle erreur ». L’Eglise de Russie d’ailleurs encourage et développe aujourd’hui sa propre structure ecclésiale, parallèle, sur le territoire même de l’Eglise orthodoxe en Amérique (OCA), qu’elle a pourtant suscitée en son temps. Il est difficilement concevable qu’une telle expérience puisse nous servir de modèle pour résorber les divisions juridictionnelles.
Dans ces conditions, quelle solution pour nous ? Une première conclusion s’impose à moi: la lettre du 1er avril soulève une fois de plus la nécessité pour toutes les Églises orthodoxes autocéphales d’œuvrer toutes ensemble à l’organisation canonique des entités territoriales qu’elles ont mis en place chacune de son côté au XXe siècle et ainsi à la formation d’une Église orthodoxe localement unifiée dans nos pays d’Europe occidentale.

La déclaration en ce sens du Patriarche de Moscou est une chose importante et qui, selon moi, ne peut pas être sous-estimée ou négligée. Mais, dans le même temps, il ne faut pas oublier qu’en 1990 et en 1993, à Chambésy (Suisse), deux consultations inter-orthodoxes, auxquelles ont participé tous nos patriarcats, ont suscité la création d’Assemblées épiscopales dans les divers pays de la « diaspora », pour contribuer ensemble à la mise en place d’un témoignage orthodoxe commun. En France, où nous avons la joie d’avoir une Assemblée des évêques orthodoxes (l’AEOF) qui travaille avec zèle à l’édification de l’Eglise orthodoxe dans ce pays, une initiative vient d’être prise, toute nouvelle: dans quelques mois, les évêques membres de l’Assemblée vont entreprendre des visites aux différents patriarcats orthodoxes, en commençant – selon l’ordre des diptyques – par Constantinople, en novembre prochain, puis Antioche, Moscou, Belgrade et Bucarest, pour discuter avec les différents primats des questions relatives à l’établissement, ici, dans nos pays, d’une Eglise localement unifiée, et des solutions qui pourraient être envisagées à cet égard.

Voilà un signe visible du travail qui se fait, lentement, mais sûrement, depuis déjà plusieurs décennies, et qui confirme une fois de plus la nécessité et la volonté de travailler tous ensemble, y compris de la part du Patriarcat de Moscou, dont l’Archevêque Innocent est membre à part entière de l’AEOF. Vu que tous, notamment au sein de notre Archevêché, quelles que soient les options que nous pouvons avoir les uns et les autres, nous mettons au centre de nos préoccupations l’organisation canonique d’une orthodoxie locale unifiée, j’espère qu’à l’occasion de ces visites, les primats et les synodes de nos différentes Eglises – y compris celle de Russie – nous diront ce qu’ils pensent concrètement de cette question, en tenant compte du contexte qui est le nôtre aujourd’hui (l’existence de l’AEOF et le processus préconciliaire, en particulier), car c’est l’Orthodoxie tout entière qui est engagée dans ce processus.

Tous nous sommes conscients qu’il est maintenant devenu impossible de considérer l’Eglise orthodoxe comme une étrangère en Europe occidentale. Elle est présente et résidente dans nos pays. L’Europe est devenue le lieu permanent de notre vie quotidienne. Mais cela ne signifie pas que notre Eglise n’a pas de racines historiques, ni de traditions propres, auxquelles nous sommes attachés et que nous n’entendons pas voir disparaître. Nous avons déjà eu l’occasion de dire que la lente mise en place de structures unifiées d’une orthodoxie locale dans les pays d’Europe occidentale ne se fera pas au détriment de notre fidélité à nos traditions, à nos langues liturgiques, à nos pratiques pastorales et canoniques particulières. Notre Sainte Mère l’Eglise orthodoxe sait concilier diversité et unité, c’est là précisément l’une des expressions de sa nature conciliaire (« sobornaïa »).

A ce propos, j’ai découvert récemment, avec peine, que certains veulent ouvrir une polémique sur différentes pratiques de la vie liturgique telle qu’elle existe aujourd’hui dans notre Archevêché – ancien ou nouveau calendrier, langue liturgique, raccourcissement des offices, communion fréquente et confession, etc. -, en cherchant à faire la distinction parmi nos prêtres et nos fidèles à partir d’un soi-disant degré de « traditionalisme » ou de « modernisme » des uns et des autres. Ces questions ont déjà été traitées, à de nombreuses reprises, ne serait-ce que sous mes deux prédécesseurs immédiats, les Archevêques Georges et Serge. S’il faut à nouveau en débattre, je suis prêt à les voir abordées lors d’une prochaine assemblée pastorale, par exemple; et personnellement, je pense qu’il le faut, en permanence, la Tradition étant précisément la transmission, toujours créatrice, en fonction des contextes historiques et culturels nouveaux, de la Vérité qui, elle, est unique et qui est le Christ lui-même : « Jésus-Christ est le même, hier et aujourd’hui, il le sera pour l’éternité » (He 13, 8). Mais, vouloir s’adjuger le don et le droit de discerner parmi les prêtres ceux qui, d’une part, seraient fidèles à la « vraie » tradition russe, et, d’autre part, ceux qui auraient choisi de « créer » une orthodoxie locale, « modernisée » ou « francisée », est non seulement une chose superficielle et fausse, mais c’est introduire à nouveau parmi nous l’esprit de division. Une telle approche du corps ecclésial est non seulement inacceptable, c’est un péché (1 Co 12,25).

Rappelez-vous la parabole du Seigneur à propos des talents. Celui qui a bien caché le talent qu’il avait reçu a été condamné par le Seigneur. Ceux qui ont travaillé, ont fait fructifier leur talent et ont rendu au centuple, ont été bénis. Il ne faut pas être un grand exégète pour comprendre la signification de cette parabole. L’Église russe a toujours travaillé à la mission et à l’évangélisation. Au XIXe siècle, elle a organisé un nombre considérable de missions parmi les nombreux allogènes non-chrétiens à l’intérieur de l’Empire russe. Au début du XXe siècle, la liturgie était célébrée en Russie non seulement en slavon, mais en plus de vingt langues indigènes. Et tout cela, sans méfiance, sans discrimination ou exclusion. Et les grands missionnaires russes, tels saints Germain et Innocent d’Alaska, saint Nicolas du Japon, sans parler du saint patriarche Tikhon et de son œuvre en Amérique du Nord, tous ils ont œuvré pour transmettre la foi orthodoxe et la tradition liturgique et spirituelle russes dans les langues des peuples qu’ils évangélisaient, sans que nul ne puisse leur reprocher de préférer créer une orthodoxie locale plutôt que de conserver leur culture et identité russes. Je pense que l’orthodoxie de tradition russe est une caractéristique commune de notre Archidiocèse et doit le demeurer pour toutes nos paroisses. Cela demande un effort commun et de la patience: pour les uns, apprendre avec humilité et amour à connaître et à respecter le trésor spirituel de la tradition liturgique russe; pour les autres, apprendre à partager et à transmettre avec la même humilité et le même amour ce même trésor.

Révérends pères et mères, frères et sœurs, concentrons-nous sur l’Unique nécessaire. Cela implique que, dans chaque paroisse, on réfléchisse à la vie liturgique, à ce qu’elle est et comment la rendre encore plus conforme à la réalité fondamentale de la Tradition orthodoxe, dans nos conditions actuelles. Bien sûr, la liturgie se trouve au cœur même de notre vie. Mais comment la réalisons-nous au quotidien ? Et qu’est-ce que la liturgie ? La lettre du Typikon ou son sens, son esprit ? Devenons-nous réellement, des êtres liturgiques, des êtres « faisant eucharistie de toute chose » . Et que faisons-nous lorsque nos paroisses – cela est fréquent en province – sont dans l’impossibilité d’assurer le rythme eucharistique dominical et ne célèbrent la Divine Liturgie qu’une fois par mois ? Comment sanctifions-nous le dimanche ? Que deviennent les grandes fêtes du Seigneur et de la Mère de Dieu ? Comment faisons-nous mémoire des saints dont les noms jalonnent notre calendrier ? Autrement dit, quel est le sens de la tradition liturgique orthodoxe et comment la vivre dans le monde d’aujourd’hui ?

Autre thème, qui me paraît capital et doit être abordé dans les paroisses et au niveau de l’Archevêché: le témoignage du Christ et de son Evangile là où nous vivons. La liturgie est célébrée « pour la vie du monde ». Qu’est-ce que cela signifie pour nous, dans nos paroisses, dans notre Archevêché? Nos paroisses sont souvent très actives, mais souvent aussi elles se sentent très isolées. Il serait souhaitable qu’elles partagent leur expérience, qu’elles mettent en commun leurs réflexions et réalisations. Et cela concerne, bien sûr, en premier lieu, la catéchèse des enfants, la formation théologique des jeunes et des adultes.

Troisième thème absolument indispensable, me semble-t-il, l’accueil des nouveaux immigrants – qu’ils soient russes, ukrainiens, roumains ou géorgiens : que leur offrons-nous? Et que devrions-nous leur offrir, concrètement – sur le plan spirituel et sur le plan matériel et social ? Là encore, il y a des initiatives, çà et là, je le sais. Il y a des paroisses, en province notamment, et à Paris aussi – je ne vais pas toutes les citer -, où l’on organise une catéchèse à leur attention, où l’on se met à leur disposition pour aider à leur insertion. Aux Pays-Bas, notre doyenné a mis en place avec les paroisses du diocèse du patriarcat de Moscou et du diocèse grec un programme d’accueil catéchétique pour les nouveaux immigrés d’Europe de l’Est. À Paris, j’ai invité nos prêtres à prendre des initiatives en ce sens… Voilà des questions concrètes, brûlantes, et qui nous concernent tous.

Tout à l’heure, nous allons élire six nouveaux membres du Conseil de l’Archevêché. C’est un acte responsable. Entrer au Conseil diocésain signifie se mettre au service de l’Église ; concrètement, c’est être au service de notre Exarchat, dont le premier serviteur doit être l’Archevêque. Ici, paraphrasant l’apôtre, je veux dire : « Moi, je ne suis pas de Pierre ou de Paul, de Bartholomée ou d’Alexis, mais du Christ ». Il faut absolument arrêter de penser et d’agir dans l’Église suivant les critères de ce monde, comme dans des formations politiques. Et si quelqu’un cherchait à être élu – cela peut arriver – par envie de prestige ou de notabilité, pour bâtir une sphère d’influence quelconque, pour assouvir un appétit de pouvoir, qu’il se ressaisisse tout de suite et qu’il retire sa candidature. Je répète ici ce que j’ai écrit dans ma lettre de carême: le Conseil de l’Archevêché n’est pas un Parlement, où l’on représenterait des courants de pensée, des clans ou des tendances. Le Conseil est là pour aider et conseiller l’Archevêque. Cela demande de nous tous une véritable conversion : « Crée en moi un cœur pur, renouvelle en mon cœur un esprit de droiture, ne retire pas de moi ton Esprit Saint ». Travaillons et prions tous ensemble, d’un seul cœur et d’une seule volonté. Oublions nos passions, nos sympathies et antipathies personnelles, notre vanité et notre orgueil, et efforçons-nous de n’avoir qu’un seul but, une seule préoccupation : le bien-être de la Sainte Église du Christ, la fidélité absolue de l’Église à sa vocation.

Mes pères et mères, frères et sœurs, nous ne devons pas nous laisser enfermer dans de fausses problématiques. Ce n’est pas cela, la vie de notre diocèse. Vivre en Christ, grandir spirituellement, tous ensemble, de manière ecclésiale, « jusqu’à atteindre la pleine stature du Christ », comme nous le dit saint Paul dans l’Epître aux Ephésiens, nous pénétrer de la Parole de Dieu pour qu’à travers nous elle rayonne et que « tout homme venant en ce monde soit illuminé et sanctifié par le Christ » (prière de Prime), et, en premier lieu, nos propres enfants et nos petits-enfants, et, ensuite, toute personne, de quelque nationalité qu’elle soit, que Dieu met sur notre route, et, plus vaste encore, la société tout entière, dans les pays où le Seigneur nous a appelé à vivre… C’est cela la réalité de l’Église – il n’y en a pas d’autre -, et c’est donc cela la réalité de notre Archevêché.


† Gabriel, Archevêque de Comane

Exarque du Patriarche Œcuménique